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Le tribunal rejette au stade provisoire la demande en injonction par laquelle la Fédération autonome de l’enseignement cherchait à obtenir un mécanisme de dépistage accéléré et prioritaire de la COVID-19 pour ses membres.

Fédération autonome de l'enseignement c. Dubé, C.S.,30 septembre 2020.
Le tribunal rejette au stade provisoire la demande en injonction par laquelle la Fédération autonome de l’enseignement cherchait à obtenir un mécanisme de dépistage accéléré et prioritaire de la COVID

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) saisit le tribunal d’une demande en injonction provisoire. La demande est déposée dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-19 et, plus spécifiquement, dans le sillage de l’adoption par le gouvernement du Québec, le 19 août 2020, du Décret 885-2020 autorisant la rentrée scolaire pour l’année académique 2020-2021. Selon la FAE, le plan de la rentrée scolaire qui accompagne le décret est déficient et non sécuritaire. Elle ne conteste pas la réouverture des écoles comme telle, mais soutient que les mesures mises en place par le gouvernement pour protéger les enseignants sont inadéquates. Sa position se résume ainsi : la décision du gouvernement de contraindre les enseignants à offrir leurs services en établissement scolaire dans un contexte de dangerosité et en l’absence d’un mécanisme de dépistage accéléré de la COVID-19 constitue une atteinte injustifiée à leurs droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne au sens de l’art. 7 de la Charte canadienne ainsi qu’à leurs droits à la sûreté et à l’intégrité de leur personne au sens de l’art. 1 de la Charte québécoise. La rentrée scolaire telle qu’elle se déroule actuellement, en l’absence d’un mécanisme de dépistage « adapté », « accéléré » ou « privilégié » pour le milieu scolaire, menace de façon sérieuse, aussi bien physiquement que psychologiquement, ses 49 000 membres. À l’heure actuelle, ni la science ni le gouvernement ne peut garantir un milieu de travail exempt du risque de contracter la COVID-19, mais, à son avis, la mise en place d’un mécanisme de dépistage accéléré et prioritaire permettrait tout de même de diminuer de manière substantielle le risque auquel ses membres sont confrontés. C’est pourquoi elle a déposé une demande de pourvoi en contrôle judiciaire dans lequel elle réclame, notamment, un accès privilégié au dépistage ou un plan de dépistage accéléré de la COVID-19 pour ses membres. Vu l’urgence, cet aspect de la demande est présenté au stade provisoire. Essentiellement, la FAE nous demande d’ordonner aux défendeurs de donner suite à leur promesse d’offrir un corridor rapide aux enseignants pour l’obtention d’un test de dépistage de la COVID-19.

Les critères à examiner sont les suivants : dans une affaire constitutionnelle, la partie demanderesse doit établir l’urgence ainsi que le fait que son recours soulève une question sérieuse à trancher, c’est-à-dire une question qui n’est ni futile, ni frivole, ni vexatoire. Cette même partie doit aussi démontrer prima facie que, si le redressement n’est pas accordé, elle en subira un préjudice irréparable ou sérieux au sens de l’art. 511 C.p.c. Enfin, c’est aux parties de démontrer en faveur de qui penche le poids des inconvénients en attendant une décision sur le fond du litige. Dans les cas relevant des droits fondamentaux, comme c’est le cas ici, il faut tenir compte de l’intérêt public dans l’appréciation des inconvénients susceptibles d’être subis par les deux parties.

Les défendeurs conviennent que le critère de l’urgence est ici satisfait. Cela est évident. Il n’est pas non plus difficile de conclure que la demande soulève une question sérieuse qui, à ce stade-ci, ne s’avère ni futile ni vexatoire. La FAE a fait une démonstration suffisante, prima facie, que l’action étatique contestée, à savoir la réouverture des écoles sans qu’un système de dépistage accéléré soit mis en place pour ce milieu, peut constituer une atteinte aux droits à la vie, à la sécurité, à la sûreté et à l’intégrité de ses membres. Le critère du préjudice irréparable est aussi satisfait. La FAE plaide que, en obligeant indirectement le retour au travail des enseignants en vertu du décret qui prévoit la réouverture des écoles, le gouvernement expose ses membres à un virus qui peut s’avérer dans certains cas mortels, et ce, sans prévoir des mesures de dépistage rapides et privilégiées, alors que de telles mesures sont offertes, par exemple, pour le personnel du domaine de la santé. Selon elle, des situations où des écoles ou des classes se retrouvent sans enseignant ne respectent pas l’objectif principal de la protection des enfants visée par le gouvernement.

Le dernier critère à examiner, soit celui de la prépondérance des inconvénients, vise à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse la demande en attendant une décision sur le fond. C’est à l’évaluation de ce critère que sont décidées la plupart des demandes interlocutoires en matière de droits de la personne. Une demande qui soulève des questions constitutionnelles et qui met en jeu la validité des actes du gouvernement diffère des litiges opposant deux parties privées. Les enjeux et les conséquences ne sont pas du tout les mêmes. Dans ce genre de dossier, il faut tenir compte des intérêts du public que l’acteur gouvernemental ou l’organisme a comme mandat de protéger. À cet égard, la FAE allègue que, comparativement aux défendeurs, ce sont ses membres qui subiront le plus grand préjudice si, dans le contexte actuel, le test de dépistage accéléré n’est pas mis à leur disposition comme promis par le gouvernement.

Avant de poursuivre l’analyse de la prépondérance des inconvénients, ouvrons une parenthèse pour examiner rapidement la prétention de la FAE voulant que les paroles du ministre de la Santé (Dubé) prononcées lors de la conférence de presse du 4 septembre 2020 soient de la nature d’une promesse. Ce faisant, sans le faire clairement, la FAE ajoute qu’il convient d’appliquer la doctrine de la préclusion promissoire en droit public à la présente affaire. Cette doctrine exige la preuve d’une promesse claire et non équivoque faite par l’autorité publique à un justiciable ou à un ensemble de justiciables afin de l’inciter à accomplir certains actes. De plus, il est nécessaire que ces derniers se fient à cette promesse et agissent sur la foi de celle-ci pour modifier leur comportement. Selon la Cour suprême, cette doctrine « doit céder devant un intérêt public prépondérant, et elle ne peut être invoquée pour contester l’application d’une disposition explicite de la loi ». Or, de l’avis du tribunal, bien qu’il n’y ait pas la présence d’une disposition explicite de la loi régissant l’administration de tests de dépistage et leur disponibilité publique et malgré les paroles du ministre Dubé qui ont probablement eu comme effet de réconforter les enseignants à retourner dans un milieu qui, en raison de la pandémie, diffère de celui auquel ils étaient habitués, les propos pris dans leur ensemble et leur contexte ne permettent pas de conclure que le ministre Dubé a offert « une promesse claire et non équivoque » aux membres de la FAE et aux parents des élèves.

La FAE plaide aussi qu’il est déraisonnable, dans une société libre et démocratique fondée sur des principes qui reconnaissent la primauté du droit, étant donné les devoirs et obligations de l’État se rattachant aux droits fondamentaux du peuple québécois, d’exiger que ses membres soient utilisés comme « cobayes » dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, sans offrir des mesures comme l’accès prioritaire et accéléré à des tests de dépistage. Le PGQ répond que la prépondérance des inconvénients ne favorise pas la mise en place d’un plan de dépistage accéléré au seul bénéfice du réseau de l’enseignement et de l’éducation. Selon lui, la stratégie gouvernementale consiste à offrir actuellement le test lorsqu’il est nécessaire, et ce, d’une manière qui est rapide et efficace afin de maîtriser ou contenir, le mieux possible la pandémie. Il ajoute que la FAE n’est pas en mesure d’expliquer en quoi l’intérêt public devrait favoriser sa position, alors que celle du gouvernement est destinée à préserver en premier lieu l’accès au dépistage rapide pour tous, selon les besoins et l’évolution de la pandémie dans divers secteurs et selon les emplacements géographiques dans la province. Il soumet également que, à l’heure actuelle, l’intérêt public motive et justifie les mesures choisies par le gouvernement dans sa lutte contre la pandémie, et que celles-ci n’empiètent pas sur les garanties fondamentales. Le tribunal reconnaît le sacrifice important que font les enseignants, mais il estime ne pas avoir suffisamment d’éléments au dossier lui permettant de conclure que le remède réclamé par la FAE à cette étape servira davantage l’intérêt public que la solution préconisée jusqu’à maintenant par le gouvernement. Par ailleurs, il ressort de la preuve que de forcer le gouvernement à mettre en place à brève échéance un processus de dépistage prioritaire pour le milieu de l’éducation nécessiterait probablement une réallocation de ressources dont il sera difficile de prévoir les contrecoups et qui pourrait, en bout de ligne, se faire au détriment des autres secteurs de la société, y compris des populations vulnérables.

Vu la conclusion du tribunal quant au critère de la prépondérance des inconvénients, il y a lieu de rejeter la demande au présent stade.

 

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