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Le tribunal rejette la demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par des mères d’élèves visés par le plan de retour à l’école adopté le 10 août 2020 par le gouvernement du Québec, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19.

Résumé de décision : Karounis c. Procureur général du Québec, C.S., 8 septembre 2020.
Le tribunal rejette la demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par des mères d’élèves visés par le plan de retour à l’école adopté le 10 août 2020 par le gouvernement du Québec, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19.

Des mères d’élèves visés par le plan de retour à l’école adopté par le gouvernement du Québec dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 remettent en cause le principe même du caractère obligatoire de la présence physique des élèves à l’école. Insistant notamment sur le fait que les connaissances scientifiques relatives aux risques liés à la COVID-19 chez l’enfant sont incertaines, elles sont d’avis que, comme en Ontario, il devrait revenir à tous les parents d’enfants d’âge scolaire, plutôt qu’au gouvernement ou aux professionnels de l’éducation et de la santé, de décider si le retour à l’école devrait se faire en personne ou à distance. Le présent jugement ne se prononce pas sur le fond de l’affaire. Il porte uniquement sur la demande des mères visant à obtenir une ordonnance de sauvegarde qui permettrait à tous les parents d’enfants d’âge scolaire d’avoir accès, immédiatement et pendant toute la durée de l’instance, à des services d’enseignement à distance.

Bien que les ordonnances recherchées ici par les mères soient de nature mandatoire, le critère qu’il convient d’appliquer est celui de l’apparence de droit, et non celui de la forte apparence de droit. Le tribunal en arrive à cette conclusion parce que, ici, la partie demanderesse soulève dans son recours des arguments de droit administratif et des arguments fondés sur les chartes.

Au présent stade de l’instance, il est inutile d’analyser tous les arguments que les demanderesses avancent. Une apparence de droit sur l’une ou l’autre des questions soulevées suffit et elles en ont établi une relativement à l’atteinte alléguée au droit à la liberté de la personne. En effet, dans la mesure où, pour la très grande majorité des parents d’élèves d’âge scolaire, le plan du gouvernement rend obligatoire la fréquentation de l’école en personne dans le contexte d’une crise de santé publique à la fois majeure et causée par un virus dont on ne connaît pas encore toutes les propriétés, la prétention des mères selon laquelle ce plan porte atteinte au droit à la liberté de la personne n’est ni futile ni vexatoire. Il est vrai que ce constat ne suffit pas à lui seul pour conclure à une apparence de droit quant à une contravention à l’art. 7 de la Charte canadienne, car cette disposition permet à l’État de porter atteinte au droit à la liberté de la personne, à condition qu’il le fasse en respectant les principes de justice fondamentale. Ainsi, afin d’établir une contravention apparente à l’art. 7, les mères doivent aussi démontrer que le décret du gouvernement semble souffrir d’une ou de plusieurs lacunes importantes au point d’enfreindre un ou plusieurs principes de justice fondamentale. Toutefois, l’art. 1 de la Charte québécoise garantit le droit à la liberté de la personne sans l’assujettir à une limite intrinsèque comparable. Ainsi, afin d’établir une contravention apparente à l’art. 1 de la Charte québécoise, les mères n’ont pas à établir que le plan semble contrevenir à un ou plusieurs principes de justice fondamentale. Certes, tout comme l’art. 7 de la Charte canadienne, l’art. 1 de la Charte québécoise est assujetti à une disposition justificative. Celle-ci est énoncée à l’art. 9.1 de la Charte québécoise. Cette disposition sera sans doute plaidée par le PGQ lors de l’instruction au fond, mais, pour les fins de leur demande d’ordonnance de sauvegarde, les demanderesses n’ont pas à aller plus loin qu’une démonstration d’une apparence de droit quant à une atteinte au droit à la liberté de la personne. Le premier critère permettant de prononcer l’ordonnance sollicitée est donc satisfait.

Les éléments de preuve actuellement au dossier démontrent clairement que les demanderesses font partie de ces personnes qui choisiraient l’enseignement à distance si elles en avaient la possibilité. Si on fait l’hypothèse que le plan du gouvernement contrevient au droit à la liberté de la personne, l’ordonnance de sauvegarde recherchée leur permettrait d’éviter un préjudice qui est sérieux et qui, au surplus, pourrait difficilement faire l’objet d’une réparation adéquate a posteriori. Cela dit, les demanderesses n’agissent pas ici dans leur seul intérêt ; elles agissent dans l’intérêt public au sens de l’art. 85, al. 2 C.p.c. Or, rien dans la preuve ne permet de tirer des conclusions précises quant au préjudice qui serait subi plus largement « c’est-à-dire dans l’ensemble de la société québécoise « si aucune ordonnance de sauvegarde n’était émise. Ce constat ne fait toutefois pas échec à la demande d’ordonnance ici recherchée, puisque la conclusion du tribunal que l’émission de cette ordonnance permettrait d’éviter que les demanderesses subissent elles-mêmes un préjudice sérieux, voire irréparable, suffit pour conclure qu’elles se sont acquittées de leur fardeau quant au second critère.

Les demanderesses ne nous convainquent toutefois pas que la prépondérance des inconvénients favorise leur position. À ce stade-ci de l’analyse, la question clé est de savoir si l’intérêt public serait manifestement mieux servi par l’émission de l’ordonnance de sauvegarde recherchée par les demanderesses ou s’il serait plutôt mieux servi par le rejet de leur demande. Pour répondre à cette question, il faut mettre l’accent sur le principe fondamental selon lequel toute décision concernant un enfant doit être prise dans son meilleur intérêt. Or, non seulement il y a présomption selon laquelle le plan de retour à l’école du gouvernement sert adéquatement l’intérêt public, mais l’abondante preuve déposée au dossier par le PGG a clairement pour effet de renforcer cette présomption. Certes, il ne s’agit pas d’une présomption absolue et les demanderesses pouvaient la réfuter. Elles ne se sont cependant pas acquittées de leur fardeau de preuve à cet égard. Leur demande d’ordonnance de sauvegarde doit donc être rejetée.

Précisons en terminant que, si les demanderesses avaient eu gain de cause au niveau de la prépondérance des inconvénients, le tribunal n’aurait eu aucune difficulté à constater que le critère de l’urgence était rempli.

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