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Même si le refus du défendeur de louer sa maison au demandeur et à sa conjointe découle principalement du comportement revendicateur et harcelant du demandeur, il reste que le refus est aussi en partie fondé sur l’état civil (conjoints ayant chacun deux jeunes enfants issus d’une union antérieure souhaitant habiter ensemble) et sur l’âge (quatre enfants âgés entre 4 et 7 ans), deux motifs de discrimination interdits par la Charte québécoise. Par contre, le demandeur n’a pas établi le bien-fondé de ses réclamations pécuniaires.

Résumé de décision : Parmentelot-Lemay c. Rojas, T.D.P., 8 octobre 2021.
Même si le refus du défendeur de louer sa maison au demandeur et à sa conjointe découle principalement du comportement revendicateur et harcelant du demandeur, il reste que le refus est aussi en parti

Le litige a comme origine une offre de location d’une maison de trois étages située à Laval. Son propriétaire — le défendeur Rojas — occupe le studio situé au sous-sol. Il louait la maison à un couple avec enfants qui a souhaité l’acheter, mais il a jugé le prix offert insuffisant. La famille a quitté la maison et, comme Rojas ne peut assumer seul les versements d’hypothèque, il a décidé de la relouer. L’annonce qu’il a publiée en février 2018 sur Kijjiji par l’entremise de sa fille a suscité beaucoup d’intérêt. Les premiers à visiter la maison ont été le demandeur et sa conjointe d’alors, Vanessa Sauvé. À ce moment, ceux-ci habitaient dans des logements loués distincts. Ils ont chacun deux jeunes enfants issus d’une union antérieure et souhaitaient emménager tous ensemble. Le demandeur témoigne qu’ils ont immédiatement été intéressés à louer la maison et qu’ils l’ont dit à Rojas. Ils étaient prêts à signer un bail sur-le-champ, mais Rojas leur a dit que plusieurs autres visites étaient planifiées ce jour-là et dans les jours suivants. Quelques jours plus tard, Rojas leur a dit qu’il refusait de leur louer la maison. Le demandeur a aussitôt déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ; il dit qu’il souhaitait ardemment avoir la maison. Il appert que, deux jours plus tard, une médiatrice de la Commission a communiqué avec Rojas et que celui-ci a aussitôt accepté de louer la maison au couple. Le demandeur reconnaît qu’il a refusé l’offre de location que Rojas lui a faite alors. Il explique que c’est parce qu’il appréhendait des représailles de sa part. Il témoigne que lui et Sauvé ont été contraints de louer un autre logement, à un prix supérieur de 180 $ par mois, qui plus est dans un quartier de Laval qu’ils n’aimaient pas et qui était à 25 km des écoles des enfants. Cette situation aurait mené à la séparation de son couple. Il s’est retrouvé à payer seul le loyer et est tombé en dépression.

Plaidant que Rojas a refusé de lui louer un logement en raison de son âge, de sa condition sociale et de son état civil, en contravention avec les art. 10 et 12 de la Charte québécoise, et qu’il a de ce fait porté atteinte à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité de son droit au respect de sa dignité en contravention avec l’art. 4 de la Charte, le demandeur lui réclame aujourd’hui des dommages-intérêts totalisant 12 160 $.

Rojas reconnaît avoir initialement refusé de louer sa maison au couple. Il affirme cependant que son refus était principalement motivé par la pression que le demandeur tentait d’exercer sur lui pour obtenir qu’il lui loue la maison, par les menaces voilées de représailles qu’il lui a adressées et par son comportement harcelant à son égard et même à l’égard de sa fille. La preuve établit que l’élément déterminant de son refus initial de location était effectivement lié au comportement envahissant du demandeur et à la pression que ce dernier tentait d’exercer sur lui et sa fille pour obtenir la maison. Toutefois, il appert qu’il était aussi préoccupé par le fait que le couple n’avait encore jamais cohabité et tentait l’aventure avec quatre enfants de 4, 5, 6 et 7 ans. Sans les connaître, il craignait que le statut de « famille recomposée complexe » représente pour lui un risque financier plus important que s’il louait à une famille dite « conventionnelle », composée de conjoints et d’enfants issus de leur union. Il s’ensuit que son refus initial de louer son logement au demandeur était en partie fondé sur l’état civil de ce dernier, un motif de discrimination interdit. Or, comme le souligne la Cour suprême, pour établir à première vue l’existence de discrimination, le plaignant doit démontrer qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination, qu’il a subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Dit autrement, le motif interdit n’a pas à être le motif principal de refus ; il suffit qu’il ait contribué à ce refus. C’est le cas ici.

Le demandeur invoque aussi l’âge, comme motif ayant contribué au refus de location. Contrairement à ce qui est invoqué, jamais son âge ou celui de Sauvé n’a été évoqué par Rojas. Par contre, ce dernier a évoqué le jeune âge des enfants lorsqu’il a exprimé sa préoccupation en lien avec la capacité du couple de les contrôler « s’ils couraient », du fait que leur expérience de cohabitation était nouvelle. Ainsi, le motif de l’âge a aussi été un facteur à l’origine du refus initial de location.

Il n’a cependant pas été question de la condition sociale du demandeur ou de Sauvé. À cet égard, Rojas s’est contenté de vérifier s’ils travaillaient et avaient les moyens de payer le loyer demandé, comme le permet la loi.

Le Tribunal est conscient que la capacité de Rojas à faire versements hypothécaires dépendait de la solvabilité et de la fiabilité financière de son futur locataire, et qu’il occupait le studio situé au sous-sol de l’immeuble. Il pouvait donc, comme le permet l’art. 6 de la Charte en vertu duquel toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, faire des vérifications dans le but de choisir un locataire qui satisferait ses attentes. Il devait néanmoins le faire en respectant les limites imposées par la Charte, à savoir ne pas invoquer un motif interdit de discrimination pour refuser la location. Cela dit, le Tribunal doit dire qu’il ne s’explique pas le comportement du demandeur dans cette affaire. Dès sa visite de la maison, il a été revendicateur et menaçant, pour dire le moins. On ne peut certainement pas reprocher à Rojas d’avoir agi dans son propre intérêt et de ne pas avoir souhaité conclure un bail avec une personne avec laquelle il était mal à l’aise. C’est d’ailleurs l’excuse que le demandeur a donnée pour refuser le bail qui lui a été offert par la suite. Le Tribunal s’explique mal aussi pourquoi le demandeur a fait appel à la Commission pour tenter d’obtenir la maison, pour ensuite prétexter craindre des représailles contre les enfants pour refuser l’offre de location que lui a faite Rojas à la suite de sa démarche. Cela étant, puisqu’il est possible que le demandeur se soit senti blessé par le fait que Rojas ait fait allusion à sa situation matrimoniale comme un facteur de risque pour lui, le Tribunal répondra à la question de savoir si le demandeur a droit aux dommages-intérêts qu’il réclame.

Non seulement le demandeur n’a pas fait la preuve des dommages matériels qu’il dit avoir subis, mais la médiation qu’il a demandée visait à lui éviter de subir de tels dommages en obtenant le logement convoité, qu’il qualifie de « logement idéal ». En rejetant sans motif valable l’offre de louer que lui a faite Rojas dans le cadre de cette médiation, le demandeur n’a pas satisfait à son obligation de mitiger ses dommages. Aucune personne raisonnable qui se serait trouvée dans la même situation que lui n’aurait refusé l’offre. La crainte de représailles qu’il invoque ne repose sur aucun élément concret et n’est pas convaincante. Il s’agit de pures spéculations. Par ailleurs, pour avoir droit à des dommages-intérêts moraux, il devait faire la preuve d’un préjudice moral réel. Or, il n’a pas établi avoir subi un préjudice moral d’une « réelle gravité » du fait qu’un des facteurs que Rojas a invoqués initialement pour ne pas lui louer la maison avait trait au risque que représentait pour lui le fait qu’il soit membre d’une nouvelle famille reconstituée. Ses réclamations de dommages-intérêts compensatoires doivent donc être rejetées.

Il n’y a pas lieu non plus de condamner Rojas au paiement de dommages-intérêts punitifs, car son atteinte aux droits du demandeur n’était pas intentionnelle. Il a établi que son refus initial de louer la maison au demandeur était d’éviter les problèmes, ce qu’il lui a dit à plusieurs reprises, alors qu’il n’appréciait pas son attitude à son égard et à l’égard de sa fille. Bref, les craintes que l’attitude revendicatrice, harcelante et oppressante du demandeur a suscitées chez lui ont été déterminantes dans sa décision initiale de ne pas lui louer le logement. Ceci est confirmé par le fait que, malgré ses craintes, il a accepté de prendre le risque de le lui louer après un simple appel de la médiatrice de la Commission.

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