Le 27 avril 2019, la demanderesse (Landry) a été élue au poste de registraire de la Bande des Abénakis de Wôlinak. Son élection a eu lieu dans une période de tension politique palpable au sein de la communauté Wôlinak, exacerbée par une lutte de pouvoir de longue date entre les familles Landry et Bernard. Elle intente une action en dommages-intérêts pour diffamation contre le Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak (le Conseil) et le chef de bande (Bernard), à la suite de quatre publications faites par ce dernier sur son compte Facebook personnel entre les 6 mai et 29 août 2019.
Les défendeurs s’opposent à la demande de modification de la DII, présentée lors des plaidoiries. Cette demande vise notamment à hausser la réclamation de dommages-intérêts compensatoires et à ajouter une réclamation de 30 000 $ pour abus de procédure. Au soutien de sa réclamation pour abus, Landry souhaite introduire en preuve la pièce P-32, constituée de captures d’écran relatant des messages Facebook publiés par Bernard les 24 et 26 octobre 2024, soit de manière concomitante à la tenue de l’audience. Elle soutient que ces nouvelles publications font preuve du mépris que Landry a envers elle et le système de justice.
S’autorisant des dispositions des art. 206 et 208 C.p.c., le tribunal accueille la demande de modification. La modification demandée ne retarde en rien le déroulement de l’instance, n’est pas contraire aux intérêts de la justice et il n’en résultera pas une demande nouvelle sans lien avec la demande initiale. Le tribunal précise que l’ajout d’une réclamation de dommages-intérêts pour abus dans le cadre d’un recours déjà institué n’entraîne pas la perte de compétence de la Cour du Québec, et ce, même si l’ajout a pour conséquence, comme c’est le cas ici, de faire passer la valeur totale de la réclamation à 100 000 $.
Sur le fond, l'analyse des quatre publications initiales de Bernard révèle leur caractère diffamatoire. Des propos tels que « méchante cruche », « quotient intellectuel égale à un sac de vidange [sic] », « pas plus de quotient intellectuelle qu une patte de table [sic] », « femme tronc [sic] », « complètement déconnecté une vraie agiter de la jacquette flottante bonne pour pour la camisole !!!! [sic] », « menteuse » et « fausse autochtone » sont jugés, tant dans la forme que sur le fond, comme étant choquants et méprisants. À l’évidence, ils ont été publiés de manière délibérée dans le but de nuire à Landry. En effet, il apparaît clairement que Bernard a, par le biais d’insultes, sciemment et de mauvaise foi, attaqué la réputation de Landry et cherché à la ridiculiser, à l’humilier et à l’exposer au mépris des membres de leur communauté. Les écrits visent non seulement la personne de Landry, mais la fonction de registraire de bande, un rôle névralgique dans le processus démocratique. À n’en pas douter, il s’agit là de propos qui visent à faire perdre l’estime ou la considération de Landry ou à susciter à son endroit des sentiments désagréables ou défavorables. Contrairement à ce que prétend Bernard, ses écrits ne peuvent se qualifier d’opinions ou de commentaires de nature politique portant sur des questions d’intérêt public. Ils ne sont pas fondés sur des faits, mais relèvent essentiellement de l’insulte et de la vulgarité et ses tentatives de les justifier par son franc-parler ou de minimiser leur portée sont rejetées. C’est à tort qu’il postule que la vie d’une personnalité politique implique nécessairement le devoir de vivre avec de telles insultes.
La responsabilité civile de Landry est donc engagée.
La responsabilité du Conseil n'est cependant pas retenue. Le chef de bande, qui assume une charge publique, ne possède pas les attributs d'un préposé ou d'un employé du Conseil. Ainsi, en l'absence de preuve d'un mandat spécifique confié par le Conseil au chef Bernard pour publier les propos litigieux, la responsabilité du Conseil ne peut pas être engagée. Le tribunal rejette aussi les allégations de diffamation qui prennent appui sur deux résolutions du Conseil. Ces allégations sont irrecevables, car postérieures aux faits du litige et non alléguées dans la demande introductive d'instance.
Landry réclame un montant global de 50 000 $ pour ses dommages moraux, troubles et inconvénients. Le tribunal lui accorde 20 000 $. Ce montant se justifie par la gravité intrinsèque des écrits en cause, qui visaient de manière illégitime à diminuer l’autorité de Landry dans son rôle de registraire et à nuire à sa réputation personnelle et professionnelle. Le tribunal retient aussi de la preuve que ces écrits ont effectivement eu un effet préjudiciable sur l'estime de soi et la réputation personnelle et professionnelle de Landry, lui occasionnant divers problèmes et causant chez elle un état dépressif et des idéations suicidaires qui l'ont conduite à des arrêts de travail plusieurs mois après les faits. Bien qu’elle occupât alors un rôle de nature publique, elle ne devait pas pour autant tolérer des propos aussi dégradants que ceux publiés par Bernard.
Le tribunal accorde également à Landry un montant de 7 500 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, reconnaissant une atteinte intentionnelle à son droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation garanti par l'art. 4 de la Charte québécoise. Ce montant est jugé suffisant pour assurer une fonction préventive et dissuasive, compte tenu de la gravité et de la répétition des écrits, de l'absence d'excuses ou de rectification de la part de Bernard, et de sa situation patrimoniale. Aucune inférence n'est tirée des publications Facebook additionnelles déposées sous la côte P-32, datant de plus de cinq ans après les faits, car la preuve n'a pas démontré qu'elles visaient la situation personnelle de Landry ni qu'elles avaient pour but de discréditer le système de justice.
La réclamation de Landry fondée sur les art. 51 et 54 C.p.c., et visant à obtenir une compensation pour ses honoraires extrajudiciaires, est rejetée. Bien que le processus judiciaire se soit déroulé dans une certaine acrimonie, le résultat objectif de l'affaire permet de conclure que la défense présentée par Bernard n'était ni téméraire ni frivole. Le fait de ne pas présenter d'offre de règlement ou d’en refuser une ne constitue pas en soi un comportement abusif.
En conclusion, la demande principale est accueillie en partie. Bernard est condamné à payer à Landry des dommages-intérêts compensatoires et punitifs totalisant 27 500 $.