
Trois familles pluriparentales québécoises et la Coalition des familles LGBT+, dont les membres participent à plusieurs modèles parentaux, contestent la validité constitutionnelle de la limite implicite de deux parents en droit québécois de la filiation. Ils ont raison d'affirmer qu’aucune disposition du C.c.Q. ne limite explicitement la filiation à deux parents ni ne proscrit la reconnaissance d’un troisième lien de filiation, mais ils ne peuvent valablement plaider que, ce faisant, le C.c.Q. peut être interprété de manière large, libérale et évolutive pour permettre la reconnaissance de plus de deux liens de filiation, notamment en vertu du principe de l'intérêt de l'enfant et de la présomption de conformité aux Chartes. Suivant l'analyse des dispositions du C.c.Q. dans leur contexte global selon la méthode moderne d’interprétation en suivant le sens ordinaire et grammatical du texte, d’une manière qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur, il appert que, bien qu'aucune disposition n'interdise explicitement la pluriparenté, le droit positif québécois ne crée pas de troisième lien de filiation. L'économie générale du C.c.Q. repose sur un modèle foncièrement bipartite, comme en témoignent les règles sur l'adoption, la procréation assistée, et l'usage de termes comme « père et mère », « l'autre parent » ou « les deux parents » dans diverses dispositions. Les articles concernant l'adoption se basent sur l'existence d'un maximum de deux liens de filiation avant et après l'adoption, et prévoit qu'une personne peut, seule ou conjointement avec une autre personne, adopter un enfant. Les modifications législatives de 2022 et de 2023 ont renforcé le modèle de parenté bipartite, notamment par l'effet du nouvel art. 523 C.c.Q. qui envisage nettement l’existence d’un maximum de deux parents. L’argument voulant que cette limite disparaisse dès lors que le projet parental implique plus de deux personnes et que le droit positif reconnaîtrait alors une filiation multipartite ne résiste pas à l’analyse. Les nouvelles dispositions sur la procréation assistée impliquant une grossesse pour autrui limitent clairement la filiation à deux personnes, puisque le projet parental pertinent émane d’une personne seule ou de conjoints. Uniquement, une personne seule ou des conjoints peuvent participer à un projet parental avec assistance à la procréation impliquant le recours aux forces génétiques d’un tiers, cette troisième personne ne pouvant pas être partie au projet et son apport de forces génétiques ne pouvant fonder aucun lien de filiation avec l'enfant. La jurisprudence, bien que ne portant généralement pas directement sur la question, mentionne aussi cette limite. Aux termes d’une analyse contextuelle des dispositions du C.c.Q., il n’existe aucune ambiguïté quant à l'impossibilité d’établir plus de deux liens de filiation. Recourir à la présomption de conformité avec les Chartes n’est d’aucune utilité pour les demandeurs. L'absence d'ambiguïté empêche l'application des présomptions interprétatives qu'ils invoquent. L'intérêt de l'enfant, bien que fondamental, ne permet pas de créer judiciairement un lien de filiation non prévu par la loi. Ainsi, le PGQ a raison de soutenir que le droit civil québécois limite la filiation légale à deux liens de parenté, à deux parents juridiques.
Subsidiairement, les demandeurs plaident que la limite de deux liens de filiation viole plusieurs droits fondamentaux, mais l'atteinte aux droits à la sécurité de la personne et à l'intégrité qu'ils proposent n'est pas établie. Bien que la preuve révèle le stress, l'anxiété et les microagressions vécus par les familles pluriparentales en raison de la non-reconnaissance légale de tous les parents, ces impacts psychologiques ne rencontrent pas le seuil de gravité requis, à savoir une atteinte grave et profonde causée par l'État, pour engager la protection de l'art. 7 de la Charte canadienne. Il s'agit plutôt de tensions et d'angoisses ordinaires liées à une situation non normative. De même, le droit à la liberté (art. 7 Charte canadienne et art. 1 Charte québécoise) n'est pas violé. La limite n'empêche pas le choix fondamental de former une famille pluriparentale. Si les décisions relatives au mode de vie familiale participent à des choix intrinsèquement privés et personnels qui touchent au droit à la liberté protégée par la Charte canadienne, pour conclure à une atteinte à ce droit, la démonstration de l’existence d’une contrainte ou d'une interdiction étatique jouant sur le choix fondamental de former une famille qui reflète ses propres valeurs est nécessaire. Ce n'est toutefois pas le cas puisque la limite de deux liens de filiation n’impose pas d’aménagement familial particulier. Quant à la « liberté parentale », qui consiste au droit de prendre des décisions pour son enfant, même en supposant qu'elle soit protégée par l'art. 7, ce qui n'est pas clairement établi, la limite de deux liens de filiation n'y porte pas atteinte, car le droit québécois permet qu’une personne qui n’est pas un « parent », selon les règles de la filiation, soit investie judiciairement de l’exercice d’attributs de l’autorité parentale, soit par délégation volontaire, soit par intervention judiciaire dans l'intérêt de l'enfant. Nécessairement, le parent non reconnu supporte un fardeau additionnel lorsqu’il s’agit de participer aux décisions qui relèvent de l’autorité parentale, mais cette différence de traitement par rapport aux parents dont la filiation est établie est plus susceptible de toucher au droit à l’égalité garanti par l'art. 15(1) de la Charte canadienne, dont la finalité est de protéger contre les différences de traitement injustes, que par le droit à la liberté prévu à l’art. 7.
L'atteinte alléguée au droit à la sauvegarde de la dignité prévu à l'art. 4 de la Charte québécoise n'est pas non plus retenue. Les conséquences de la non-reconnaissance de plus de deux liens de filiation (stress, insécurité, microagressions) n'atteignent pas le degré de gravité élevé requis pour constituer une atteinte à la dignité humaine fondamentale, qui vise des traitements avilissants, dégradants ou humiliants. En outre, le droit au respect de la vie privée de l'art. 5 de la Charte québécoise n'est pas non plus violé. La limite de deux liens de filiation n'interfère pas indûment avec le choix personnel de former une famille pluriparentale (volet décisionnel). Elle n'impose pas non plus une divulgation indue de renseignements personnels (volet informationnel), car même la reconnaissance légale de trois parents sur un acte de naissance impliquerait la divulgation de la structure familiale, à l'instar des certificats de familles monoparentales ou homoparentales. Il n’y a pas là pour autant une violation du droit à la vie privée. En fait, les familles pluriparentales veulent pouvoir profiter de la même facilité dans l’établissement de leur rôle que les parents dont la filiation est reconnue. Encore une fois, ces demandes touchent plutôt le droit à l’égalité que le droit à la vie privée.
En revanche, l'analyse permet de constater que la limite de deux liens de filiation porte atteinte au droit à l'égalité garanti par l'art. 15(1) de la Charte canadienne. L’approche du PGQ consiste à incorporer, à l’avantage prévu par la loi, les limites imposées à celui-ci par le régime contesté, ce qui lui permet de dire que le demandeur qui n’a pas accès à l’avantage ne peut prétendre à une différence de traitement, car il ne satisfait pas aux critères pour y avoir accès. Cependant, il s'agit d'une approche formelle au droit à l’égalité qui est incompatible avec l’objectif de l’égalité réelle poursuivi par l’art. 15 de la Charte canadienne et avec l’idée qu’un traitement identique peut s’avérer discriminatoire. La question est plutôt de déterminer si la limite de deux parents légalement reconnus constitue une différence de traitement fondée sur un motif de discrimination prohibé.
Le test en deux étapes de la Cour suprême dans l'arrêt Sharma permet de résoudre cette question. La première étape exige d'établir une distinction de traitement en raison d’un motif prohibé ou analogue à ceux-ci. Le droit à l’égalité est une notion fondamentalement comparative. Ainsi, en comparant la situation des demandeurs au groupe de comparaison approprié, soit les familles biparentales, il résulte qu'ils subissent une différence de traitement puisque pour ces derniers les règles québécoises qui régissent la filiation permettent, en principe, l’établissement d’un lien de filiation entre chaque parent et leurs enfants, ce qui n’est pas le cas pour les demandeurs. Certains membres des familles demanderesses sont privés d’un avantage prévu par la loi, la filiation. Les enfants également sont privés d’un avantage créé par la loi. Il y a ainsi une distinction de traitement au sens du droit à l’égalité. Les motifs fondés sur la déficience physique, l'orientation sexuelle et le mode de conception visant à appuyer l'argument fondamental voulant que la distinction soit basée sur une discrimination prohibée sont rejetés faute de preuve suffisante établissant un lien de causalité ou un impact disproportionné spécifique. Il est toutefois retenu que la différence de traitement est liée au « statut familial ». La définition de cette expression, « statut familial », est retenue dans le sens de l'appartenance à un modèle familial particulier, incluant la pluriparentalité. Ce n'est pas un motif de discrimination prohibé énuméré à l'art. 15(1) de la Charte canadienne, mais cette énumération n’étant pas exhaustive, il est possible de retenir des motifs analogues à ces motifs prohibés. Le statut familial, dans le sens de l’appartenance à un modèle familial particulier, est immuable pour l'enfant qui ne peut choisir ses parents et est considéré comme tel pour les parents puisqu'il est lié à des choix personnels fondamentaux et à l'identité. Du reste, les personnes qui adoptent des modèles familiaux non traditionnels forment très certainement une minorité discrète et isolée. Historiquement, cette minorité, qui a adopté un modèle familial non traditionnel, a fait l’objet de désavantage et de discrimination. Il s'agit d'un facteur qui joue en faveur de la reconnaissance de l’appartenance à un modèle familial particulier comme motif de discrimination prohibé.
La deuxième étape du test exige de démontrer que la distinction de traitement crée une incidence négative ou l’aggravation d’une situation défavorisée en imposant un fardeau ou en niant un avantage d'une manière qui renforce, perpétue ou accentue le désavantage. C'est le cas ici. La limite de deux parents cause un désavantage économique lié à la privation potentielle de pension alimentaire ou de droits successoraux pour l'enfant envers le parent non reconnu. Elle entraîne aussi une exclusion sociojuridique significative : le parent non reconnu n'a pas l'autorité parentale de plein droit, ses droits de garde et de décision sont précaires, et sa relation avec l'enfant est vulnérable, surtout en cas de conflit entre les conjoints ou les parents. Les mécanismes existants (délégation, recours judiciaire) sont plus lourds et incertains que la reconnaissance automatique de la filiation, ce qui confirme le désavantage. Enfin, la limite cause un préjudice psychologique (stress, anxiété) et identitaire. La non-reconnaissance de plus de deux liens de filiation par l’État et par ses institutions a une incidence sur l’identité et l’estime de soi des personnes concernées. Elle véhicule l'idée que seules les familles avec un maximum de deux parents représentent des structures familiales valides et dignes de reconnaissance juridique. La différence de traitement est discriminatoire.
En revanche, l'atteinte au droit à l'égalité de l'art. 10 de la Charte québécoise n'est pas établie, car le statut familial n'est pas un motif énuméré à cette disposition, les motifs invoqués fondés sur l'orientation sexuelle, le handicap et l'état civil ne sont pas prouvés comme étant la base de la distinction ou ne couvrent pas la présente situation, et il n'est pas possible de reconnaître des motifs analogues.
L'atteinte au droit à l'égalité de l'art. 15(1) de la Charte canadienne n'est pas justifiée par l'article premier. Bien que l'objectif invoqué par le PGQ visant à favoriser la prévisibilité et la stabilité des liens de filiation soit accepté comme urgent et réel, et qu'un lien rationnel existe entre la limite numérique aux liens de filiation et la prévisibilité, la mesure n'est pas minimalement attentatoire au droit à l’égalité. Le PGQ n'a fourni aucune preuve à cet égard. L'existence de législations dans quatre autres provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Ontario, Saskatchewan, Yukon) permettant la reconnaissance de plus de deux parents sous certaines conditions montre que des alternatives moins attentatoires et viables existent pour atteindre les objectifs de stabilité et de prévisibilité. Le simple fait d'invoquer la déférence ne suffit pas à satisfaire le fardeau de preuve de l'État. Les effets bénéfiques de la limite de deux parents ne l'emportent pas sur les effets préjudiciables discriminatoires.
Le redressement constitutionnel approprié en vertu de l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 est une déclaration d'invalidité des dispositions pertinentes du C.c.Q. régissant la filiation (art. 523-524, 538-538.2, 539-539.1, 541.1-541.4, 541.6-541.9, 541.11, 541.14, 541.16-541.22, 541.25-541.29, 541.32-541.37, 542.19-542.21, 542.23, 542.31, 551-553 et 578.1). Une réparation adaptée par interprétation large (reading in), qui permettrait immédiatement la reconnaissance de plus de deux parents, est rejetée, car elle empiéterait indûment sur le rôle du législateur, nécessiterait des choix politiques complexes et créerait une incertitude juridique quant aux règles applicables. La déclaration d'invalidité est suspendue pour une période de 12 mois afin de permettre au législateur d'adopter une solution législative conforme à la Charte canadienne, tout en maintenant un régime de filiation en place pendant cette période. Une exemption individuelle de la suspension pour les demandeurs est également refusée, car elle les laisserait sans régime de filiation applicable et soulèverait les mêmes problèmes d'empiètement judiciaire que l'interprétation large. Il appartiendra au législateur de prévoir une solution, possiblement rétroactive.
Enfin, dans la situation de X, un des enfants ici concernés, les demandeurs soutiennent que le Directeur de l’état civil a rendu une décision déraisonnable et illégale en prenant en considération le volet de la procédure en jugement déclaratoire visant à faire reconnaître monsieur comme père de l'enfant pour écarter la déclaration de naissance désignant deux mères. Il n'a pas suivi la déclaration et à plutôt indiqué uniquement une mère et en ajoutant la mention « Non déclaré » sous la rubrique de l’autre parent. Leur demande à cet égard est rejetée. La décision du Directeur n'est pas déraisonnable. Ayant été informé que monsieur est le père reconnu de l'enfant et qu'il réclame la reconnaissance d'un lien de filiation avec celui-ci, il était possible pour le Directeur de croire que la naissance n'avait pas été déclarée correctement, justifiant une enquête sommaire. Le refus subséquent d'inscrire l'autre mère comme parent n'est pas déraisonnable compte tenu des règles de filiation applicables. Il est cependant ordonné au Directeur d'inscrire monsieur comme père, ce lien n'étant pas contesté et étant conforme aux règles de filiation par le sang.