Le patient, un jeune homme âgé de 18 ans, avait une allergie connue aux arachides avec des antécédents de réactions graves. Par inadvertance, il a ingéré un sandwich au thon contenant des arachides chez le père de sa copine. Conscient de la gravité de la situation, il a appelé les services d'urgence. Les premiers répondants sont arrivés vite et ont respecté parfaitement le protocole d'urgence en lui administrant de l'épinéphrine rapidement.
Toutefois, alors que l'hôpital le plus proche se trouvait tout près, les techniciens ambulanciers de la défenderesse Urgences-Santé ont commis plusieurs erreurs qui ont retardé les soins requis et ont mené au décès du patient. Ils savaient avant même leur arrivée qu'ils avaient affaire à un cas de réaction anaphylactique qui commandait l'application d'un protocole particulier. Or, ils se sont trompés en s'attardant aux difficultés respiratoires, alors que le patient se trouvait plutôt en détresse respiratoire. Celui-ci, dont l'état était instable, a dû marcher seul jusqu’à l’ambulance, alors qu'une évacuation à l’aide d’une chaise-civière était de mise, ce qui a exigé un effort physique nuisible à son état. De plus, un seul ambulancier l'a accompagné, alors que le protocole exige une action simultanée des deux intervenants. Le protocole d'intervention pour réaction anaphylactique exige également un transport immédiat vers l'hôpital le plus proche, avec sirènes et gyrophares. Cependant, au lieu de partir tout de suite, les ambulanciers sont restés sur les lieux pendant 25 minutes, qui sont devenues critiques. En outre, vu la mauvaise application du protocole, ils ont administré du salbutamol (Ventolin), un médicament non seulement inefficace contre l’anaphylaxie, mais qui peut également masquer la détérioration réelle. L’administration du salbutamol sur les lieux à 2 occasions n'était pas indiquée et ne peut justifier le retard à quitter vers l'hôpital. Les ambulanciers ont omis d'administrer des doses répétées d'épinéphrine toutes les 5 à 10 minutes comme requis, n'administrant la deuxième dose que 17 minutes après la première. Certes, un temps était requis pour l’évacuation du patient de l’appartement et le retranchement dans l’ambulance, mais pas aussi long que celui écoulé. Ce délai aurait permis l’administration d’une deuxième dose d’épinéphrine et l’appel à l’hôpital receveur, mais ce ne fut pas fait. Le transport, qui aurait dû prendre 1 minute maximum, a pris 3 minutes sans activation des sirènes obligatoires. L’absence d’un téléphone fonctionnel dans l’ambulance a également empêché la communication directe avec l’hôpital, ce qui a causé un délai additionnel dans la prise en charge hospitalière. Cette défaillance, connue d’Urgences-Santé et affectant environ 10 % de sa flotte, constitue une faute supplémentaire distincte. Elle a l'obligation de fournir de l’équipement fonctionnel en tout temps, considérant les conditions d'urgence dans lesquels les interventions sont faites, les vies des patients et du public en général en dépendent. Elle a été négligente et fautive à cet égard. Pendant tout ce temps supplémentaire avant le transport, l'état du patient s'est détérioré graduellement, comme en ont témoigné ses plaintes répétées de difficultés respiratoires croissantes et ses cris angoissés qu'il était en train de mourir. Les justifications avancées par Urgences-Santé, notamment fondée sur l’anxiété du patient à l'égard des aiguilles et son prétendu refus d’aller à l’hôpital, sont non fondées et sont même contredites par la preuve. Les ambulanciers ne sont finalement partis que lorsque le patient était en arrêt respiratoire et était devenu cyanosé. Il y a plus de 15 minutes inexplicables de temps perdu. Les ambulanciers n’ont pas agi comme des professionnels raisonnablement prudents et diligents l'auraient fait dans les mêmes circonstances.
À l’arrivée à l’hôpital, le patient était en arrêt respiratoire, et l’équipe hospitalière n’était pas prête à le recevoir, faute de préavis. Le message transmis par le répartiteur était erroné quant à l'heure d'arrivée. Ce manque de coordination a entraîné un délai supplémentaire avant le début des soins et avant l’administration d’épinéphrine intramusculaire. Le patient a, par la suite, subi un arrêt cardiaque de 21 minutes, causant des dommages cérébraux irréversibles et ayant mené à sa mort cérébrale.
Par ailleurs, l'argument, voulant que seule une preuve d’expert d'un technicien ambulancier puisse réussir à établir le non-respect des règles de l'art applicables à cette profession, est rejeté. Ce moyen, non mentionné dans l’exposé initial de la défense, est mal fondé, notamment parce qu’il contredit la preuve d’expertise qu'elle a elle-même administrée par l'entremise d'un médecin. Aussi, un contrat judiciaire est intervenu entre les parties au moment du dépôt de la déclaration commune pour que le débat sur la responsabilité des ambulanciers se fasse à partir d'une preuve d'expertise de médecins spécialisés en médecine d'urgence. En outre, l’administration de toute preuve pertinente est possible sans qu'il existe de monopole ou d'exclusivité d'une catégorie de personnes pour établir la faute d'une autre personne. Les techniciens ambulanciers ne sont pas membres d’un ordre professionnel et ils doivent suivre des protocoles élaborés et approuvés par des médecins spécialisés en médecine d’urgence, désignés par le ministre de la Santé. Ces médecins exercent une autorité clinique sur les ambulanciers et sont responsables de l’évaluation de la qualité des actes posés. Ainsi, une expertise médicale en médecine d’urgence est pertinente et suffisante pour évaluer le respect des protocoles par les techniciens ambulanciers. La preuve d’expertise en demande élaborée par un urgentologue conclut que les ambulanciers ont violé les protocoles d’intervention. L'expertise de la défense effectuée par un médecin est, pour sa part, erronée, incomplète et en contradiction avec les protocoles applicables. Également, il n'est pas possible d'accorder foi aux témoignages des ambulanciers puisque ceux-ci manquent de crédibilité et de fiabilité, l'une d'entre eux ayant même été jusqu'à fausser l'information fournie au coroner.
Tout bien pesé, c'est 11 fautes distinctes que les ambulanciers et Urgences-Santé ont commises, incluant le non-respect des protocoles, l’omission de partir rapidement vers l'hôpital, les retards dans l’administration de l’épinéphrine, l’absence de préavis à l’hôpital, l’utilisation d’un téléphone défectueux, et le transport sans activation des sirènes. Ces fautes ont directement causé le décès du patient, décès qui aurait pu être évité si les protocoles avaient été respectés. Le lien de causalité est clair puisque, selon la littérature médicale, le taux de mortalité pour une réaction anaphylactique traitée en milieu hospitalier est inférieur à 1 %. Si les protocoles avaient été respectés, le patient serait arrivé à l'hôpital 15 minutes avant sa détérioration critique fatale et aurait bénéficié des soins avancés nécessaires à sa survie. L'expertise médicale montre que chaque minute compte dans de telles urgences, et le retard a ici privé le patient des interventions hospitalières qui auraient pu lui sauver la vie.
Urgences-Santé plaide qu'il y a faute contributive du patient pour avoir mangé un sandwich sans vérifier les ingrédients. La portée de cette faute contributive est limitée à 10 %, considérant que cette négligence n’aurait pas entraîné le décès si les protocoles avaient été respectés. Du reste, l'allégation de discrimination fondée sur l'origine autochtone du patient est rejetée, la preuve n'établissant aucun lien entre les fautes commises et cette caractéristique.
Les dommages-intérêts compensatoires accordés à la succession du patient s'élèvent à 45 000 $. Celui-ci est demeuré conscient pendant un certain temps, exprimant à plusieurs reprises sa douleur, son inquiétude et sa peur. Ses manifestations de détresse se sont intensifiées jusqu’à son arrêt respiratoire. L'indemnité retenue tient compte de la gravité des souffrances vécues, de la conscience du patient de sa situation, de son désespoir et de la perte de confiance envers les intervenants médicaux.
Le patient faisait partie d'une petite famille aux liens très serrés. Il était au centre de la famille et une fierté pour tous. Il revient 144 300 $ à chacun de ses deux parents. Ceux-ci qui n'auront pas d’autres enfants ont subi une perte irréversible de joie et de sens à leur vie de parents. Il est toutefois tenu compte du fait que le patient avait quitté le domicile familial peu avant son décès. Bien que cette séparation soit récente, c'est un facteur pris en compte pour revoir à la baisse la compensation possible, en raison d’une distance émotive inévitable. Aussi, le décès est survenu dans le même pays que celui où le patient résidait avec ses parents, ce qui a évité un rapatriement et a permis à sa famille de lui offrir des rites funéraires traditionnels sans trop d'obstacles. Pour les dépenses liées au décès, le père est en droit d'obtenir le remboursement de la somme de 9 243,94 $ établie par les pièces justificatives pour les frais de funérailles, billets d’avion et hébergement. Pour sa perte de revenu évaluée à 60 000 $, une incapacité de travailler de neuf mois est retenue. En se basant sur les revenus moyens des années représentatives, c'est un montant de 37 174,86 $ qui est accordé.
Le patient entretenait une relation fusionnelle avec sa sœur de trois ans sa cadette. Il était son héros et son protecteur. Elle a droit à 46 109 $.
Le patient formait une première union avec sa conjointe. Bien que leur relation soit récente, ils étaient inséparables et partageaient des projets de vie communs. La conjointe a été témoin des derniers instants du patient, notamment dans l’ambulance, où elle a pu observer son agonie, sa panique et sa cyanose. Pour les souffrances subies à la suite du décès brutal de celui-ci et les effets psychologiques durables (troubles du sommeil, cauchemars, détachement émotif et difficulté à reprendre une vie sociale normale), elle a droit à 25 000 $.
Les grands-parents maternels avaient une relation étroite avec le patient. Ils avaient des contacts fréquents, entretenaient des échanges affectueux et avaient une implication active dans sa vie. Pour les douleurs et souffrances liées à la perte de leur petit-fils et de leur attente légitime de partager les étapes futures de sa vie, une indemnité de 20 000 $ est accordée à chacun d'eux.
Enfin, rien ne permet de retenir la prétention des demandeurs voulant que les ambulanciers aient agi sur la foi de préjugés, négligeant la gravité de la situation en raison de l'appartenance visible du patient à une communauté autochtone. Cette prétention n'est fondée que sur des observations générales sur les discriminations systémiques vécues par les autochtones dans les services publics, notamment médicaux. Suivant la preuve spécifique au dossier, bien que des fautes graves aient été commises, aucun élément probant ne permet d’établir un lien entre ces manquements et l’apparence autochtone du patient. L’allégation de discrimination fondée sur l’origine autochtone est rejetée.