Dans l’affaire Leduc c. Vachon (EYB 2016-270822 – Texte intégral), rendue en septembre 2016, le tribunal se prononce sur l’application de l’article 178 (1)e) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité en matière de vices cachés.
Essentiellement, cet article prévoit qu’un failli peut ne pas être libéré de certaines de ses dettes faisant partie de sa faillite, et ce, malgré qu’une ordonnance de libération ait été rendue à son égard.
Plus précisément, cet article prévoit huit exceptions à la libération d’un failli, dont celle du paragraphe e) voulant qu'un failli ne peut être libéré d’une dette ou d’une obligation résultant de l’obtention de biens de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits.
Dans cette décision, les acheteurs (demandeurs) d’un immeuble s’adressent au tribunal afin d’obtenir un jugement déclaratoire mentionnant que leurs vendeurs (défendeurs) ne soient pas libérés de leur dette solidaire découlant du jugement rendu en leur faveur, environ dix ans plus tôt, lors d’un recours en vices cachés.
Plus particulièrement, les demandeurs ont acheté la propriété des défendeurs le 1er mai 2002. Quelques jours avant la vente, dans la nuit du 13 au 14 avril 2002, une inondation est survenue dans le sous-sol de la propriété. Cependant, les défendeurs, des courtiers immobiliers, n’ont pas cru bon d’en informer les demandeurs lors de la vente. S’ensuivit une action en vices cachés intentée par les acheteurs en mars 2003.
Bien que les acheteurs aient obtenu gain de cause contre leurs vendeurs aux termes d’un jugement rendu le 8 mars 2006, ils ne pouvaient exécuter leur jugement puisque entre-temps, plus précisément le 3 avril 2003, l’un des vendeurs avait fait cession de ses biens (faillite), et les demandeurs avaient été autorisés à continuer leurs procédures judiciaires contre ce dernier conditionnellement à ce que le jugement à être rendu ne soit exécuté qu’après la libération du syndic, ce qui a eu lieu que le 13 mars 2015.
Il est intéressant de mentionner que le 1er avril 2010, l’autre vendeuse a également fait cession de ses biens et elle a obtenu libération de sa faillite le 2 avril 2012.
Dans cette affaire, les acheteurs souhaitent se prévaloir de l’article 178 (1)e) susmentionné de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité afin que leurs vendeurs ne puissent être libérés de la dette résultant du jugement rendu contre eux en mars 2016, en invoquant des manœuvres frauduleuses des vendeurs à leur égard dans le cadre de la vente de l’immeuble en cause.
Avant de se prononcer sur son application, la Cour rappelle que cette disposition doit être interprétée restrictivement afin de ne pas perdre de vue l’objectif de la Loi qui vise essentiellement à la réhabilitation sociale et économique du débiteur de bonne foi.
Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs devaient, pour bénéficier de cette exception, présenter une preuve démontrant l’intention frauduleuse des défendeurs :
« La partie qui souhaite se prévaloir de cette exception à la libération d'un failli doit présenter une preuve prépondérante de qualité de l'intention frauduleuse du failli. »
« 31 La partie qui souhaite se prévaloir de cette exception à la libération d'un failli doit présenter une preuve prépondérante de qualité de l'intention frauduleuse du failli16. Cette démonstration peut s'effectuer par une preuve directe ou au moyen de présomptions de faits17.
32 Selon les auteurs Houlden and Morawetz18 pour établir des représentations frauduleuses au sens de cette disposition, il est nécessaire de démontrer :
(i) the making of a representation; (ii) the representation was false; (iii) the representation was made knowingly, without belief in its truth, or recklessly indifferent whether it was true or false; (iv) the creditor relied upon the representation and turned over property to the debtor […].
33 Cette disposition réfère à la notion civile de dol et de fraude19. Il n'est donc pas ici question de démontrer une fraude au sens du Code criminel20.
34 Comme le stipule l'article 1401 C.c.Q., le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. L'auteur Vincent Karim s'exprime ainsi à l'égard du dol par réticence :
[…] Pour qu'il y ait véritablement un dol par réticence, il faut retrouver chez le contractant la volonté de tromper son contractant en ne lui révélant pas certaines informations pertinentes et déterminantes qu'il serait en droit de connaître. En d'autres termes, le dol par réticence suppose l'absence de bonne foi. […]21
35 La preuve de fausses représentations ou d'un dol crée une présomption d'intention frauduleuse. Il revient alors au débiteur de démontrer qu'il agit de bonne foi en expliquant les représentations qui ont été faites ou son omission de faire état de certains faits22. »
« La preuve de fausses représentations ou d'un dol crée une présomption d'intention frauduleuse. Il revient alors au débiteur de démontrer qu'il agit de bonne foi en expliquant les représentations qui ont été faites ou son omission de faire état de certains faits. »
Ainsi, en démontrant que les défendeurs connaissaient l’existence de l’inondation affectant le sous-sol de la propriété avant de procéder à sa vente et qu’ils ne l’aient pas révélé aux demandeurs, ces derniers ont renversé la présomption de bonne foi. Il revenait alors aux défendeurs de faire la preuve que leur omission d’informer les demandeurs à l’effet qu’une inondation était survenue dans le sous-sol de la propriété ne dénotait aucune intention frauduleuse, ce qu’ils n’ont pu faire.
Bien que le juge de première instance, dans son jugement rendu en mars 2006, en soit venu à la conclusion que la preuve prépondérante ne démontrait pas de fausses représentations ou de manœuvres abusives intentionnelles de la part d’un des vendeurs, le Tribunal en vient à la conclusion que la dette solidaire, qui découle du jugement rendu le 8 mars 2006, résulte malgré tout de l’obtention de biens par une présentation erronée et frauduleuse des faits et que les défendeurs ne doivent pas en être libérés. Il importe de préciser que le juge de première instance, toujours dans son jugement de mars 2006, avait conclu que les vendeurs avaient commis une faute envers leurs acheteurs en ne leur divulguant pas une information déterminante pour eux, à savoir qu’une inondation était survenue dans le sous-sol de l’immeuble qu’ils désiraient acquérir, et que cela constituait un manque de transparence qui contrevenait à leur obligation d’agir de bonne foi dans le cadre de leur relation contractuelle avec leurs acheteurs.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que chacun des vendeurs fût sanctionné au niveau disciplinaire, en 2005, par le comité de discipline de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec pour ne pas avoir divulgué à leurs acheteurs la survenance du dégât d’eau survenu quelques jours avant la vente dans la propriété en cause.
Par conséquent, le Tribunal a conclu que les vendeurs n’étaient pas libérés de leur dette découlant du jugement rendu dix (10) ans plus tôt contre eux, et a condamné, en 2016, les défendeurs au paiement de la créance qui découlait de ce jugement de 2006. Plus particulièrement, le Tribunal en vient à la conclusion que l’omission par les vendeurs de divulguer un fait important lors de la vente de leur propriété aux acheteurs (l’inondation survenue quelques jours avant la vente) constitue un dol au sens de l’article 1401 C.c.Q. et que ce dol crée une présomption d’intention frauduleuse de la part des défendeurs au sens de l’article 178 (1)e) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
En conclusion, l’acheteur qui fait la démonstration prépondérante de l’intention frauduleuse du vendeur-failli pourra se prévaloir de l’exception prévue à l’article 178 (1)e) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour empêcher la libération de son vendeur à l’égard de la dette découlant du jugement à être rendu dans le cadre de son recours pour vices cachés, à condition que le vendeur n’ait pas renversé la présomption qui pèse contre lui à l’effet qu’il a agi de bonne foi lors de la vente et dans le cadre de ses représentations et/ou de ses omissions.
Ainsi, une faillite ne permet pas à un vendeur ayant agi de mauvaise foi envers son acheteur de se libérer envers lui de ses obligations découlant d’un jugement rendu dans le cadre d’un recours pour vices cachés.
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