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La Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec ne peut déléguer l’exercice de sa compétence exclusive à la Cour supérieure relativement à la garde

Résumé de décision : A. c. B., sub nom. Droit de la famille – 142630, EYB 2014-243609 (C.S., 24 octobre 2014)
La Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec ne peut déléguer l’exercice de sa compétence exclusive à la Cour supérieure relativement à la garde

La Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec peut-elle déléguer l'exercice de sa compétence exclusive à la Cour supérieure relativement à la garde ou aux accès à des enfants soumis à la Loi sur la protection de la jeunesse (la LPJ) ou y assujettir sa décision? Cette question est soulevée par la requête de madame pour mesures provisoires et ordonnance de sauvegarde concernant ses deux enfants, et amène le tribunal à compléter sa trilogie sur la portée de la compétence exclusive de la Chambre de la jeunesse en matière de protection de la jeunesse. Le tribunal utilise en l'espèce le terme « assujettir » dans le sens où la Cour supérieure pourrait rendre une décision différente de celle déjà rendue par la Cour du Québec plutôt que dans le sens du pouvoir de surveillance et de réforme que la Cour supérieure possède constitutionnellement à l'égard des décisions de la Cour du Québec, et du droit d'appel à la Cour supérieure d'une décision de la Chambre de la jeunesse en vertu de la LPJ.

Il convient de rappeler les principes applicables afin de trancher l'apparent conflit de compétence d'attribution entre la Cour supérieure et la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, quant à la garde et l'accès d'un enfant assujetti à la LPJ. En principe, la Cour supérieure a compétence exclusive en matière de garde d'enfant et de droits d'accès. Toutefois, l'effet conjugué des articles 31 et 36.1 C.p.c. et de l'article 83 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (la LTJ) confère à la Cour du Québec la compétence exclusive «dans les matières relatives à la jeunesse » et « à l'égard de la protection de la jeunesse conformément à la Loi sur la protection de la jeunesse». La LPJ s'applique à un enfant dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis. De plus, cette loi s'applique aussi lorsque le Directeur de la protection de la jeunesse retient un signalement. Enfin, la LPJ s'applique évidemment lorsque la Chambre de la jeunesse rend une ordonnance de compromission ou de protection concernant un enfant. Ainsi, lorsque la LPJ s'applique à un enfant, mais que le dossier n'est pas encore judiciarisé, la Cour du Québec - qui est le tribunal ayant compétence exclusive pour appliquer cette loi - peut être saisie immédiatement d'une demande de sauvegarde urgente à l'égard de cet enfant. Toutefois, la compétence exclusive de la Cour du Québec doit être précisée afin d'en déterminer la portée et l'objet. Lorsqu'un enfant est assujetti à la LPJ, c'est la Cour du Québec qui a compétence exclusive pour assurer sa sécurité et sa protection. L'article 91 LPJ permet à cette Cour de rendre diverses ordonnances, notamment que l'enfant soit confié à l'un ou l'autre de ses parents, que certaines personnes que la Cour désigne n'entrent pas en contact avec l'enfant, ou que ce dernier n'entre pas en contact avec certaines personnes, ou que l'enfant soit confié à d'autres personnes. Or, la garde et l'accès sont indissociables de la présence de l'enfant. En somme, la compétence de la Chambre de la jeunesse en vertu de la LPJ englobe nécessairement des ordonnances qui s'apparentent à la garde et à l'accès d'un enfant. Ainsi, la compétence exclusive de la Cour du Québec à l'égard d'un enfant assujetti à la LPJ comprend nécessairement la compétence et le pouvoir de prononcer des ordonnances quant aux personnes ayant la garde de cet enfant ou l'accès auprès de cet enfant. Cela est d'autant plus vrai que cette compétence exclusive en matière de protection de la jeunesse doit recevoir une interprétation large.

Qui plus est, le fait que la Cour supérieure ait rendu, le 12 décembre 2012, une ordonnance de sauvegarde dans le présent dossier n'exclut aucunement la compétence exclusive de la Cour du Québec tant que les deux enfants mineurs sont assujettis à la LPJ.

Quoique la Cour du Québec possède une compétence large et exclusive en matière de protection de la jeunesse, il reste qu'elle comporte des limites. Ainsi, la Cour supérieure conserve sa compétence exclusive à l'égard des autres mesures accessoires au divorce, notamment quant aux aliments payables au bénéfice des enfants. En ce sens, à l'égard des aliments payables au bénéfice d'un enfant assujetti à la LPJ, la Cour supérieure a une compétence chevauchante à celle de la Chambre de la jeunesse.

Appliquant ces principes aux faits en l'espèce, il y a lieu de conclure que la Cour du Québec ne peut pas «assujettir» sa décision concernant la garde ou l'accès d'un enfant faisant l'objet d'une décision de la Chambre de la jeunesse en vertu de la LPJ - ou qui est autrement un enfant sujet à cette loi d'ordre public - puisque c'est la Chambre de la jeunesse qui possède alors la compétence exclusive de déterminer les personnes avec lesquelles l'enfant peut avoir des contacts. La Chambre de la jeunesse ne peut pas non plus déléguer à la Cour supérieure l'exercice de sa compétence exclusive à l'égard d'un enfant assujetti à une ordonnance de la Chambre de la jeunesse ou autrement assujetti à la LPJ. Premièrement, un enfant assujetti à la LPJ relève de la compétence de la Chambre de la jeunesse - à l'exclusion de tout autre tribunal - quant aux personnes pouvant, ou ne pouvant pas, avoir de contacts avec lui. Or, la garde et les modalités d'accès concernant un enfant sont intimement liées à la présence physique de l'enfant avec les personnes qui en ont la garde ou l'accès. Ainsi, puisque la Chambre de la jeunesse jouit d'une compétence exclusive, elle ne peut ni assujettir sa décision ni déléguer l'exercice de cette compétence exclusive à la Cour supérieure. En effet, un tel assujettissement ou une telle délégation se heurte à un obstacle insurmontable, soit l'absence de compétence ratione materiae de la Cour supérieure. Deuxièmement, les questions portant sur la compétence d'attribution sont d'ordre public. Même le consentement des parties est incapable de conférer à un tribunal une compétence d'attribution que le législateur n'a pas jugé bon de lui conférer (sous réserve évidemment de la compétence inhérente de la Cour supérieure). La même règle doit s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, la Chambre de la jeunesse tente par ses ordonnances de conférer à la Cour supérieure une compétence ratione materiae qu'elle ne possède pas.

Somme toute, la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, a compétence exclusive pour déterminer les modalités de garde et d'accès concernant les enfants mineurs faisant l'objet d'une décision de cette Cour en vertu de la LPJ ou qui sont autrement assujettis à cette loi. De plus, la compétence d'attribution étant d'ordre public, la Chambre de la jeunesse ne peut assujettir sa décision ni déléguer l'exercice de sa compétence exclusive que lui confère la LPJ à la Cour supérieure. Cela est d'autant plus exact que la Chambre de la jeunesse est en l'espèce la mieux placée pour déterminer les modalités de garde et d'accès qui sont dans l'intérêt supérieur des enfants qui sont d'ailleurs sous sa protection depuis le 16 septembre 2011. En conséquence, la Cour supérieure n'a pas compétence pour rendre des ordonnances de garde et d'accès à l'égard de tels enfants mineurs, sauf circonstances exceptionnelles. Toutefois, elle demeure compétente à l'égard des autres mesures accessoires au divorce, notamment quant aux aliments devant être versés au bénéfice des enfants. Il s'ensuit que le tribunal doit décliner compétence en ce qui concerne la requête de la mère qui sollicite des modalités de garde et d'accès relatives à ses deux enfants et renvoyer le dossier à la Cour du Québec afin qu'elle détermine ces modalités.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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