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La Fédération des producteurs acéricoles du Québec est condamnée à payer à un acheteur des dommages-intérêts de plus de 1M$

Résumé de décision : Aliments Möpure inc. c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec EYB 2014-242266 (C.S., 10 septembre 2014)
Résumé de décision extrait de La référence

Le tribunal est saisi de deux dossiers qui ont été réunis. Dans le premier dossier, Aliments Möpure inc. (Möpure) et son actionnaire, Investissements O.P.M. inc., réclament à la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (la Fédération) des dommages-intérêts substantiels. Elles lui reprochent son comportement arbitraire et discriminatoire à leur endroit dans le traitement de leur demande d'obtention d'une marge de crédit en application de la Convention de mise en marché du sirop d'érable, établie par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec. Elles la tiennent responsable de la faillite de Möpure. La Fédération nie avoir commis les fautes qu'on lui reproche. Elle s'est porté demanderesse reconventionnelle pour réclamer aux demanderesses des dommages-intérêts pour «abus de procédure». Dans le second dossier, la Fédération présente une requête sur cautionnement dirigée contre L'Unique Assurances Générales inc. (l'Unique), laquelle a cautionné les engagements de Möpure souscrits en vertu de laConvention de mise en marché, précitée. Dans ce même dossier, l'Unique a appelé en garantie Investissements O.P.M. inc. et son dirigeant, M. Pierre Habib.

La Fédération gère la mise en marché du sirop d'érable au Québec. C'est à elle que les acheteurs de sirop d'érable doivent s'adresser pour obtenir la désignation d'«acheteur autorisé» au sens de la Convention de mise en marché. En janvier 2009, la demanderesse Möpure, qui a fait ses débuts dans le marché du sirop d'érable en 2006, souhaitait étendre ses activités dans la transformation du sirop d'érable. Elle a donc fait les démarches requises. Conformément à ce qu'exige la Convention de mise en marché, elle a annoncé à la Fédération le volume anticipé de sirop qu'elle achèterait, ainsi que son intention de fournir le cautionnement requis pour obtenir une marge de crédit de la Fédération. Möpure a compris des pratiques de la Fédération et de ses représentations que cette marge s'élève automatiquement à cinq fois le montant du cautionnement fourni. La Fédération a suggéré un cautionnement de 700 000 $. Möpure s'attendait donc à se voir débloquer une marge de crédit de 3 500 000 $. À ce moment, ses affaires allaient très bien et, même si cela n'était pas requis, elle a transmis à la Fédération ses états financiers pour que celle-ci constate sa bonne santé financière. Elle a donc été des plus surprises lorsque, le 4 février 2009, la Fédération l'a avisée du plafonnement de sa marge à 1 500 000 $ en raison de son manque de liquidités. Il est à noter que la Fédération ne lui a toutefois pas conseillé de réduire proportionnellement son cautionnement à 300 000 $. Möpure a tenté par la suite, à plus d'une reprise, de faire augmenter sa marge de crédit à cinq fois le montant de son cautionnement, afin d'être en mesure de payer les achats annoncés. Ce n'est que le 23 juin 2009 que la Fédération a consenti en partie à sa demande, en haussant sa limite de crédit à 2 333 000 $. À ce moment, la situation financière de Möpure était cependant déjà fragilisée. Möpure a continué à faire pression sur la Fédération, tant et si bien que, le 21 septembre, celle-ci a consenti à hausser la limite à 3 700 000 $, moyennant un dépôt additionnel de 300 000 $. Il était toutefois trop tard; quelques semaines plus tard, Möpure a fait faillite. Les demanderesses allèguent que les difficultés financières de Möpure résultent du comportement abusif de la Fédération. Elles plaident que celle-ci a eu un comportement arbitraire et discriminatoire à l'endroit de Möpure en lui niant un financement à la hauteur de celui accordé aux autres acheteurs autorisés, cela, disent-elles, pour «freiner son élan et satisfaire ceux que sa progression dérangeait dans l'industrie».

 Le tribunal donne raison aux demanderesses. Non seulement la Fédération avait-elle indiqué à Möpure qu'elle lui accorderait une marge de crédit équivalant à cinq fois le montant du cautionnement suggéré, mais ses pratiques administratives ne laissent place à aucune autre compréhension. D'ailleurs, la liste des 44 acheteurs autorisés, que la Fédération a produite au dossier, s'avère éloquente: seule Möpure n'a pas obtenu un financement équivalant à cinq fois le montant de son cautionnement. La Fédération plaide que Möpure a été imprudente, vu qu'elle savait, lorsqu'elle a demandé son statut d'acheteur autorisé, que la Fédération limitait sa marge de crédit. Le tribunal considère toutefois qu'il était raisonnable pour Möpure d'acheminer sa demande d'accréditation comme acheteur autorisé malgré la décision de la Fédération de limiter sa marge de crédit. En effet, vu la preuve, Möpure pouvait certainement espérer faire changer la Fédération d'idée. Pour seule explication sur le traitement différent de la demande de Möpure, le directeur des finances de la Fédération a affirmé qu'il s'était inquiété, lorsqu'il avait analysé ses états financiers. Pourtant, la Fédération n'exige pas les états financiers des aspirants acheteurs autorisés. Elle ne s'assure systématiquement que de leur possession d'un entrepôt pour les barils de sirop, et de la confirmation d'un cautionnement. Il est vrai que la décision d'une institution financière d'accorder ou non un financement demeure discrétionnaire. Cependant, cette faculté ne peut s'exercer de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Ce fut le cas ici. En outre, l'institution doit donner suite à sa promesse de financement, sous peine d'engager sa responsabilité auprès de l'emprunteur.

À l'audience, la Fédération a fait valoir que Möpure aurait dû contester sa décision devant la Régie des marchés agricoles, seule instance compétente. Cet argument juridictionnel, plaidé à ce stade-ci de l'instance, étonne d'autant plus que la Fédération ne l'avait pas soulevé dans une requête en irrecevabilité déposée en 2011 et rejetée par le tribunal. Cela dit, le tribunal ne trouve aucun fondement à cette position. L'article 26 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche ne vise pas les questions soulevées par le présent litige, non plus qu'il accorde à la Régie une quelconque juridiction exclusive. Il en va de même des clauses 6.01 et 14.01 de laConvention de mise en marché. La clause 6.01 vise le refus d'accréditer une entreprise comme acheteur autorisé. Quant à la clause 14.01, elle ne suffit pas à retirer compétence aux tribunaux de droit commun.

Le tribunal conclut donc que la faute de la Fédération a été prouvée de façon prépondérante. Le nécessaire lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués par les demanderesses a aussi été prouvé de façon prépondérante. La preuve démontre que l'année 2009 s'annonçait profitable pour Möpure, au point où son institution financière, la Caisse populaire Desjardins Sault-au-Récollet, n'a pas hésité à doubler sa marge de crédit en juillet 2009. D'ailleurs, le directeur de compte François Bergeron a témoigné que Möpure aurait pu survivre aux difficultés énoncées à la requête pour nomination d'un séquestre intérimaire si elle avait bénéficié des liquidités suffisantes provenant d'une marge de crédit de 3 500 000 $ de la Fédération. Il est catégorique: la Caisse a suivi mensuellement les activités de Möpure ainsi que sa progression, et a pu constater qu'elle a toujours honoré ses projections. Devant ce témoignage non contredit d'un tiers indépendant, le tribunal est convaincu que le préjudice d'Investissements O.P.M., l'actionnaire de Möpure, résulte du comportement arbitraire et fautif de la Fédération. O.P.M. a perdu son investissement, une perte qui constitue un préjudice susceptible d'indemnisation. Les demanderesses ne se sont toutefois pas acquittées de leur fardeau de preuve à l'égard de la réclamation de 1 100 000 $ portant sur la perte de profits. Cette somme ne sera donc pas accordée.

La requête des demanderesses est en conséquence accueillie jusqu'à hauteur de 1 251 440 $. Cette somme devra être distraite en faveur de l'intervenante Graciana André, laquelle a acquis, en avril 2010, la totalité des actions privilégiées détenues par Investissements O.P.M. dans Möpure.

Les conclusions qui précèdent suffisent à conclure au caractère mal fondé de la demande reconventionnelle présentée par la Fédération. À l'évidence, le recours des demanderesses ne constitue pas une procédure abusive.

La requête sur cautionnement est rejetée. Selon la clause 5 du cautionnement, la Fédération doit expédier par écrit sa réclamation à la caution dans les 30 jours ouvrables de la date où cette réclamation devient exigible en vertu de la Convention de mise en marché, en précisant l'objet et le montant de la créance et en fournissant les preuves documentaires pertinentes. La Fédération devait donc acheminer sa réclamation à l'Unique au plus tard le 18 décembre 2009, ce qu'elle n'a pas fait. La Fédération plaide qu'elle n'a pu établir le montant de sa créance que le 15 décembre 2009, et que sa réclamation, reçue par l'Unique le 20 janvier suivant, n'est donc pas tardive. Le tribunal ne retient pas cette position, qui ne correspond pas à ce que prévoit la Convention. Celle-ci précise en effet que toute réclamation devient exigible dès le défaut de paiement du premier versement, le 15 novembre de chaque année. D'ailleurs, les gestes posés par la Fédération confirment cette interprétation. Le tribunal conclut que sa réclamation est tardive.

Quant à l'action en garantie déposée par l'Unique, tant Investissements O.P.M. que son dirigeant, M. Habib, admettent qu'ils doivent indemniser l'unique de tous les frais et déboursés engagés par elle pour se défendre contre la réclamation de la Fédération. Ils sont donc condamnés à payer à l'Unique la somme de 37 730,81 $.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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