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L’article 39 de la Loi sur les cours municipales, qui impose la retraite aux juges municipaux qui atteignent 70 ans, n’est pas ultra vires ou inopérant

Résumé de décision : Clément c. Québec (Procureur général), EYB 2015-252403 (C.S., 22 mai 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Les demandeurs, tous deux juges municipaux, contestent la retraite obligatoire à 70 ans prévue par la Loi sur les tribunaux judiciaires. Au cours de sa carrière, le juge Clément a été juge rémunéré à la séance tout en demeurant membre du Barreau du Québec, puis juge provisoire et, finalement, juge à charge exclusive. Au moment de prendre sa retraite, il n'a pas droit au service de sa pleine pension puisque son âge et ses années de service à temps plein ne totalisent pas 80. Le juge Paquin a été tour à tour juge à la séance, juge suppléant, deuxième juge suppléant et juge provisoire auprès de différentes cours municipales. N'ayant jamais exercé ses fonctions judiciaires à titre exclusif, il a pratiqué sa profession d'avocat en parallèle tout au long de sa carrière. Il a pu bénéficier des régimes de retraite pour juges non exclusifs de deux villes.

Au Québec, les juges municipaux sont des juges au plein sens du terme et sont soumis au principe constitutionnel d'indépendance et d'impartialité. Leur régime de retraite et leurs avantages sociaux, tout comme leur traitement, sont déterminés par un décret du gouvernement. Ce décret met en oeuvre la résolution adoptée par l'Assemblée nationale à la suite des recommandations du Comité de la rémunération des juges (Comité). Au Québec et au Canada, ainsi que dans plusieurs pays démocratiques, l'âge de retraite obligatoire des juges est fixé par la loi et se situe autour de 70 ans. Il s'agit d'un moyen de garantir l'inamovibilité des juges et l'indépendance judiciaire.

Certaines questions soulevées par les demandeurs ne peuvent êtrerésolues par le tribunal. Ainsi, le choix de fixer l'âge de retraite à 70 ans plutôt qu'à 75 ou 65 ans est une ligne de démarcation qu'il appartient au législateur de tracer et le tribunal ne doit pas substituer son opinion à la sienne. De plus, il ne peut pas trancher la question sur la base de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise). En effet, pour qu'il s'agisse de discrimination en vertu de la Charte québécoise, la distinction fondée sur l'âge doit compromettre l'exercice d'un droit ou d'une liberté garanti par celle-ci et ne doit pas être prévue par la loi. En l'espèce, puisque l'âge de retraite obligatoire est prévu par la loi, il n'est pas possible de trancher le litige en vertu de la Charte québécoise.

L'âge de retraite obligatoire ne viole pas non plus le droit à l'égalité garanti à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne). Les règles d'interprétation de la Charte canadienne diffèrent des règles d'interprétation usuelles. En ce sens, le tribunal aborde la question soulevée par les demandeurs en gardant à l'esprit les principes d'interprétation large et libérale.

Le droit à l'égalité ne signifie pas le droit à un traitement identique. Afin de déterminer s'il y a eu violation au droit à l'égalité, Il convient de déterminer, dans un premier temps, si la distinction est fondée sur un motif énuméré ou analogue, ce qui est le cas en l'espèce puisque l'âge est un motif énuméré à l'article 15 de la Charte canadienne. Dans un deuxième temps, il faut démontrer que la distinction a un effet discriminatoire en perpétuant un préjugé ou en entretenant un stéréotype qui ne reflète pas la situation et les caractéristiques véritables des demandeurs.

À cette étape, l'allégation des demandeurs doit être examinée en comparaison avec un groupe qui partage avec ceux-ci des caractéristiques pertinentes, sauf la caractéristique personnelle invoquée comme motif de discrimination. Les demandeurs suggèrent deux groupes comparatifs, soit les juges municipaux par rapport aux autres juges, d'une part, et par rapport aux autres citoyens, d'autre part. Or, comme ces derniers ont également un droit constitutionnel à une magistrature indépendante, il faut situer la deuxième étape de l'analyse dans le contexte de l'indépendance judiciaire et de l'inamovibilité des juges comme une condition essentielle de celle-ci. Il s'agit d'un principe constitutionnel non écrit, protégé de surcroît par les articles 11d) de la Charte canadienne et 23 de la Charte québécoise. L'âge de retraite obligatoire permet de garantir l'inamovibilité des juges, car la loi est le déclencheur automatique, objectif et neutre du départ à la retraite. Autrement, il faudrait mettre en place des systèmes d'évaluation des aptitudes et du rendement qui, en plus d'être humiliants et générateurs de tensions, risqueraient de créer des délais permettant à des juges de continuer à servir sans en avoir les capacités, minant ainsi la confiance du public envers le système judiciaire.

Dans ce contexte, les demandeurs n'ont pas convaincu le tribunal qu'il n'y a pas de facteurs rationnels justifiant l'âge de retraite obligatoire des juges. Celle-ci ne perpétue pas non plus de désavantage ou le désavantage créé n'est pas fondé sur un stéréotype s'apparentant à l'âgisme. La retraite obligatoire ne crée donc pas de discrimination à l'égard des demandeurs.

En ce qui concerne l'argument des demandeurs quant à leur sécurité financière à titre de condition essentielle de l'indépendance judiciaire, le fait de ne pas bénéficier d'un régime de retraite pour le juge Paquin et de ne pas bénéficier du service complet du régime pour le juge Clément ne constitue pas une atteinte à l'indépendance judiciaire. Il est vrai qu'à la suite des enseignements de la Cour suprême quant à la sécurité financière des juges, la mise en place d'un mécanisme indépendant et objectif visant le juste traitement des juges a été difficile. Toutefois, depuis sa formation, le Comité a toujours tenu compte du fait que les juges rémunérés à la séance ne bénéficiaient pas d'un régime de retraite et a formulé des recommandations en conséquence, lesquelles ont été confirmées par les tribunaux. Les juges Paquin et Clément ont bénéficié des améliorations substantielles à la rémunération des juges à la séance depuis la mise en place du Comité, leur assurant une sécurité financière tenant compte de leur parcours à titre de juges municipaux.

Par ailleurs, même si le tribunal avait conclu que la retraite obligatoire pour les juges était discriminatoire, l'atteinte à l'égalité aurait été justifiée en vertu de l'article premier de la Charte canadienne. L'objectif de l'âge de retraite obligatoire, qui est d'assurer l'indépendance judiciaire, est suffisamment important pour justifier la limitation au droit à l'égalité des juges. La procureure générale du Québec a fait la démonstration qu'il s'agit de l'outil le mieux adapté pour assurer l'inamovibilité des juges et les mettre à l'abri des décisions discrétionnaires pouvant mettre en jeu leur charge judiciaire. Le tribunal doit faire preuve de déférence envers le choix du législateur de fixer l'âge à 70 ans, un choix qui est partagé par plusieurs autres législatures.

Finalement, l'argument des demandeurs fondé sur le jugement de la Cour supérieure de l'Ontario concluant que l'âge de retraite obligatoire de 70 ans est discriminatoire ne peut être retenu. D'une part, l'historique législatif quant à l'âge de retraite des juges de la Cour de justice de l'Ontario est différent de celui du Québec. D'autre part, le tribunal ne partage pas les conclusions de la cour ontarienne, car l'analyse de l'atteinte au droit à l'égalité n'est pas complète. En effet, la solution proposée met en péril l'indépendance judiciaire et le juge est entré dans la sphère politique en substituant son opinion à celle du législateur quant à l'âge de retraite fixée.

La requête des demandeurs est rejetée sans frais, car ils soulevaient une question qui dépassait leur intérêt individuel. Il convient donc de ne pas leur faire subir le poids des dépens.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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