Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec a adopté un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire dans tout le territoire québécois en raison de la menace que représentait la pandémie de COVID-19. De multiples décrets ont été adoptés par la suite afin de renouveler cet état d’urgence, plus précisément à tous les sept jours, à quelques exceptions près. Par son pourvoi en contrôle judiciaire, le demandeur cherche à faire déclarer que l’art. 119 al. 1 de la Loi sur la santé publique (LSP) est inconstitutionnel, invalide et inopérant, et ce, en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le pouvoir du gouvernement de déclarer l’état d’urgence sanitaire n’est pas contesté. C’est la légalité des multiples renouvellements qui l’est. Le demandeur allègue, dans un premier temps, que l’art. 119 al. 1 LSP constitue une délégation inconstitutionnelle du pouvoir législatif de l’Assemblée nationale à l’exécutif, car il permet au gouvernement de renouveler l’état d’urgence sanitaire pour d’autres périodes maximales de dix jours ad infinitum, ce qui n’est pas raisonnable. Il soutient, dans un deuxième temps, qu’il y a violation du principe démocratique, puisque la disposition attaquée ne prévoit aucun processus permanent de discussion. Son dernier argument porte sur le fait que la structure fondamentale de la Constitution s’en trouve atteinte sensiblement.
La question qui se pose d’emblée est celle de savoir si l’Assemblée nationale peut déléguer son pouvoir législatif au gouvernement. Une législature peut déléguer certains pouvoirs administratifs ou réglementaires, notamment celui d’adopter des règlements contraignants, mais subordonnés. Ainsi, une certaine forme de délégation est valide constitutionnellement, quoiqu’il soit interdit de transférer le pouvoir d’adopter, de modifier et d’abroger des lois. La délégation dont on parle ici n’a pas une portée aussi étendue que semble le croire le demandeur, en ce qu’elle ne permet pas au gouvernement d’écarter ou de neutraliser une loi de l’Assemblée nationale. Il n’est donc pas nécessaire de procéder à un réexamen de la jurisprudence confirmant la constitutionnalité de la délégation de pouvoir. Le demandeur invite le tribunal à sanctionner le processus législatif et l’omission de l’Assemblée nationale de discuter pleinement des questions que soulève ce processus ou d’insérer des contrôles dans la LSP pour tout pouvoir qu’elle délègue. Or, rien dans la preuve ne permet de remettre en question les règles ou les normes suivies par l’Assemblée nationale, d’autant plus que la Cour supérieure n’est pas compétente pour s’immiscer dans la façon dont les projets de loi sont élaborés et discutés. La Cour suprême a récemment affirmé que des pouvoirs vastes ou importants peuvent être délégués à l’exécutif. La délégation prévue à l’art. 119 al. 1 LSP est soumise aux limites de la loi principale, puisque la déclaration de l’état d’urgence sanitaire nécessite une menace grave à la santé de la population qui exige l’application de certaines mesures pour la protéger. L’exercice du pouvoir délégué est soumis à l’objet de la législation et ne peut être exercé en excès ou indépendamment de celui-ci. Non seulement le pouvoir délégué trouve sa source dans la loi habilitante, mais son exercice est limité dans le temps. Certes, en l’espèce, ce pouvoir a été exercé 115 fois, mais à toutes les fois que l’état d’urgence sanitaire est renouvelé, il est nécessaire de le justifier par une menace grave à la santé de la population. Dans la mesure où la LSP prévoit le droit de désaveu de l’Assemblée nationale, force est de reconnaître que le pouvoir délégué est limité. En outre, ce contrôle de l’Assemblée nationale est exprimé dans deux autres lois d’application générale, soit la Loi d’interprétation et la Loi sur l’Assemblée nationale. Tout ce qui précède démontre que la délégation, en plus d’être permise par la jurisprudence, est valide et raisonnable.
L’allégation selon laquelle il y a une atteinte à la structure fondamentale de la Constitution est imprécise. Comme aucune atteinte structurelle n’est identifiée, il n’est pas possible d’établir de quelle manière la disposition attaquée modifie l’architecture interne et la structure fondamentale de la Constitution, pas plus qu’il n’est possible de conclure que l’art. 119 al. 1 LSP contrevient à une règle, écrite et non écrite, ou à un principe sous-jacent à la Constitution.
Pour toutes ces raisons, le pourvoi en contrôle judiciaire est rejeté.