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Le propriétaire d’un duplex qui, depuis son acquisition de l’immeuble en 2017, tente par tous les moyens de se débarrasser des occupants du logement situé au rez-de-chaussée, une dame de 70 ans et son fils, devra leur payer des dommages-intérêts totalisant près de 69 000 $, en sus de devoir donner suite aux diverses ordonnances prononcées contre lui.

Résumé de décision : Longpré c. Le Gris, C.S., 6 décembre 2023, EYB 2023-536833
Le propriétaire d’un duplex qui, depuis son acquisition de l’immeuble en 2017, tente par tous les moyens de se débarrasser des occupants du logement situé au rez-de-chaussée, une dame de 70 ans et son fils, devra leur payer des dommages-intérêts totalisant près de 69 000 $, en sus de devoir donner suite aux diverses ordonnances prononcées contre lui.

En avril 2017, le défendeur (Le Gris) a fait l’acquisition d’un duplex situé à Longueuil avec une intention claire et annoncée de le rénover complètement et d’évincer la locataire Carolle Longpré et son fils Éric, qui résident dans le logement situé au rez-de-chaussée depuis l’an 2000. L’affaire s’est rendue devant le Tribunal administratif du logement (le TAL) qui, le 11 novembre 2021, a déclaré valide le bail d’une durée de 25 ans, au loyer mensuel de 450 $, que Longpré avait signé en avril 2013 avec son père, ancien propriétaire de l’immeuble (le Bail). La décision du TAL n’a pas été contestée par Le Gris. Les relations entre les parties ne se sont pas améliorées par la suite et de nombreuses demandes ont été déposées devant le TAL. Ces demandes ont été suspendues dans l’attente du jugement à être rendu dans le présent dossier.

Longpré et son fils (les demandeurs) allèguent que Le Gris les harcèle de multiples façons afin qu’ils quittent leur logement et qu’il néglige de le maintenir en bon état d’habitabilité, de propreté, de sécurité ou de salubrité. Il refuserait notamment de faire les réparations requises par les inspecteurs de la Ville de Longueuil et les corrections demandées par la Régie du bâtiment du Québec (la RBQ). En plus de lui réclamer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, ils recherchent contre lui diverses ordonnances.

Le jugement est rendu par défaut, Le Gris n’ayant pas voulu comparaître.

Les questions soumises par les demandeurs relèvent d’un bail de logement. La Cour supérieure a néanmoins compétence pour entendre le litige, puisque les réclamations recherchées s’élèvent à 169 542 $ (art. 28, al. 1 (1°) de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL)).

La demande des demandeurs qu’il soit ordonné à Le Gris de leur remettre l’original du Bail est accordée. Deux décisions rendues par la Régie du logement (l’ancêtre du TAL) en novembre 2017 et en avril 2018 ordonnent à Le Gris de remettre cet original à Longpré, ce qu’il est toujours en défaut de faire.

L’art. 1902 C.c.Q. prescrit que le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement. Or, l’analyse objective des faits et gestes posés par Le Gris permet raisonnablement de les qualifier d'actes de harcèlement constituant une série de mesures systémiques ayant comme conséquence soit de restreindre le droit de Longpré et de son fils à la jouissance paisible de leur logement, soit à obtenir qu'ils quittent les lieux. Avant même de faire l’acquisition de l’immeuble, il a clairement manifesté son intention d’évincer Longpré pour rénover l’immeuble entièrement et de ne pas respecter les conditions du Bail. Devant le refus de Longpré de quitter son logement, il est « parti en guerre » contre elle et son fils, multipliant les procédures devant le TAL et les comportements perturbateurs. La preuve à cet égard est accablante. Il y a donc lieu de conclure que sa conduite envers les demandeurs se qualifie de harcèlement au sens de l’art. 1902 C.c.Q. et que ces derniers sont en droit de lui réclamer des dommages-intérêts pour compenser les dommages que cette conduite leur a causés.

Le tribunal accorde à Longpré une somme de 8 716,50 $ pour compenser ses dommages matériels découlant de la conduite fautive de Le Gris, somme ventilée comme suit : 157,80 $ pour le remplacement de la serrure défectueuse de la porte extérieure de son logement, que Le Gris a négligé de remplacer malgré une mise en demeure formelle à cet effet ; 1 991,53 $ pour l’installation de caméras de surveillance et de loquets de sécurité, par suite des menaces proférées par Le Gris ; 669,50 $ pour la médication et le suivi psychologique prescrit par la C.A.V.A.C. ; 5 000 $ pour les pertes matérielles subies en raison d’une infestation de rats qui a perduré pendant plus de six mois ; 700 $ pour le remplacement de ses biens détruits ou enlevés sans droit par Le Gris (dont sa balançoire, son auvent rétractable, ses bacs à fleurs et ses plantes) ; et 197,67 $ à titre de remboursement des frais de sténographes pour la transcription des audiences devant le TAL, nécessaires à la preuve en l’instance. Pour ce qui est des frais de la contre-expertise, le tribunal ne peut se prononcer sans pouvoir analyser la preuve de tous les experts appelés devant le TAL. Cette réclamation devra donc être décidée par le juge administratif saisi de l’instance visée.

Longpré a également subi des dommages moraux. La liste des gestes et comportements fautifs de Le Gris est très longue et les circonstances, particulièrement éprouvantes. Par conséquent, il est facile de croire Longpré lorsqu’elle témoigne du stress important, de l’anxiété, de l’insomnie, de la peur et de l’insécurité ressentis face au harcèlement et aux menaces qu’elle subit depuis 2017. Le tribunal estime légitime et justifié de lui octroyer une compensation globale de 25 000 $ pour l’ensemble de ses dommages moraux. Son fils Éric est lui aussi une victime de la conduite fautive de Le Gris. En plus des troubles et inconvénients évidents liés aux différents manquements de Le Gris, il a témoigné de l’anxiété constante que lui causent les comportements agressifs que Le Gris a à son égard depuis 2017. Une compensation globale de 10 000 $ lui est accordée.

La preuve démontre que, depuis son acquisition de l’immeuble en 2017, Le Gris contrevient à plusieurs de ses obligations légales en lien avec le Bail. Outre l’infestation de rats qu’il a laissée perdurer pendant plus de six mois, il néglige de remettre le logement de Longpré en bon état d’habitabilité et de propreté après des démolitions effectuées sur l’immeuble. De plus, bien qu’il ait été plusieurs fois mis en demeure par Longpré et qu’il ait reçu maints avis de la Ville de Longueuil, qui lui a aussi imposé des amendes, il omet de faire les réparations et rénovations requises par la Ville et les corrections ordonnées par la RBQ. Longpré a le droit d’exiger qu’il exécute ses travaux. Il sera donc ordonné à Le Gris d’effectuer ou de faire effectuer par des professionnels, dans les 60 jours du présent jugement, les différents travaux et les corrections énumérés dans le dispositif du jugement. Il lui est aussi ordonné de remplir régulièrement le réservoir d’huile afin que Longpré puisse chauffer son logement (à défaut de quoi Longpré pourra le faire et déduire le montant des factures de ses loyers à venir) et de ne pas obstruer les deux stationnements et la porte de garage de Longpré. Finalement, il devra, dans les dix jours du jugement, retirer les caméras de surveillance et les autres moyens d’enregistrement et d’écoute qu’il a installés sur les murs ou en direction du logement de Longpré.

Longpré réclame une diminution de son loyer de 50 % pour perte de jouissance des lieux, et ce, tant que les travaux ci-devant discutés ne seront pas terminés. Le tribunal ne fera pas droit à cette réclamation. D’une part, Longpré n’a pas fait la preuve d’une perte locative liée à la superficie de son logement. D’autre part, suivant les décisions rendues par le TAL, Longpré est autorisée à (et le fait déjà) déduire de son loyer le montant des factures d’huile à chauffage qu’elle doit débourser pour remplir le réservoir, de sorte qu’elle est déjà indemnisée pour ce manquement. Pour le reste, elle a été privée de stationnements et d’eau chaude à quelques reprises au cours des dernières années, mais le tribunal en ignore l’importance réelle. Dans de telles circonstances, il ne peut ordonner et quantifier une diminution raisonnable du loyer.

Les demandeurs réclament aussi à Le Gris des dommages-intérêts punitifs de 45 000 $. Cette réclamation sera accueillie jusqu’à hauteur de 25 000 $. D’un côté, Longpré est âgée de 70 ans et est prestataire de l’aide sociale. Le Gris a tenté d’abuser de sa vulnérabilité pour l’intimider et arriver à ses fins d’éviction. Les comportements répétitifs hautement répréhensibles de ce dernier s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie volontaire et illicite visant à nuire à la jouissance paisible du logement et à provoquer le départ de sa locataire. Propriétaire d‘immeubles à revenus, la preuve démontre en outre que ce n’est pas la première fois qu’il force l’éviction d’un locataire, de sorte que le montant accordé doit être dissuasif. D’un autre côté, Le Gris n’a pas été en mesure de reprendre le logement, de sorte qu’il n’a pas tiré profit de la situation et d’un loyer augmenté. Ainsi, Longpré demeurera dans son logement jusqu’en 2038, avec un loyer mensuel de 450 $. De plus, en sus des dommages-intérêts compensatoires accordés en l’instance, Le Gris devra assumer le coût des réparations et rénovations requises pour rétablir l’habitabilité du logement. Il faut cependant tenir compte ici du fait que, puisque l’immeuble nécessitait une rénovation majeure, et aussi en raison de « la situation de la locataire du rez-de-chaussée », le Gris a bénéficié d’une réduction du prix de vente de l’ordre de 89 000 $.

Les demandes des demandeurs fondées sur les art. 51 et342 C.p.c. sont rejetées. Longpré bénéficie de l’aide juridique, de sorte qu’elle n’a pas eu à payer les honoraires de l’avocat qui la représente devant le présent tribunal. Elle ne saurait recevoir une compensation pour des honoraires qu’elle n’a pas elle-même déboursés. Quant aux honoraires de l’avocate qu’elle avait mandatée pour la représenter devant le TAL, c’est à ce dernier qu’il appartient d’analyser si Le Gris a abusé de ses droits d’ester en justice dans le ou les dossiers visés, afin de vérifier si les faits justifient ou non de le condamner à payer les honoraires engagés pour cette ou ces instances, suivant l’art. 63.2 LTAL.

La demande des demandeurs visant à faire déclarer Le Gris plaideur quérulent en application de l’art. 55 C.p.c. est également rejetée. Le Gris présente certes quelques-uns des grands traits d’un plaideur quérulent, mais la situation, à ce stade, ne présente pas le caractère excessif et exceptionnel requis par la jurisprudence pour prononcer une déclaration de quérulence.

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