L'accusé, l'auteur d'un roman (Hansel et Gretel) d'un peu plus de 250 pages qui relate, entre autres, la souffrance et le calvaire subi par un frère et une sœur qui subissent des sévices physiques, psychologiques et sexuels dans le cadre d'une histoire d'horreur et de science-fiction, se voit reprocher d'avoir produit de la pornographie juvénile. Celui-ci demande que l'al. 163.1(1)c) et les par. 163.1(2), (3), (4), (4.1) et (6) C.cr. soient déclarés inconstitutionnels. Il soutient que l'auteur d'un roman d'horreur et de fiction, qui ne préconise ni ne conseille la pédopornographie, ne saurait voir sa liberté d'expression restreinte par le biais d'accusations criminelles qui comportent un stigmate social important et dévastateur, car cela contreviendrait, de façon injustifiable, à l'al. 2b), à l'art. 7 et à l'al. 11d) de la Charte canadienne.
On reconnaît la violation de l'al. 2b) de la Charte canadienne, tout comme le fait la PGQ à l'audience. Reste alors à déterminer si cette violation peut se justifier en vertu de l'article 1 de la Charte canadienne. Pour ce faire, la PGQ doit démontrer le caractère urgent et réel de l'objet de la loi et le fait que les moyens choisis s'avèrent proportionnels à cet objet. Le législateur respectera le critère de proportionnalité si : 1) les moyens adoptés se trouvent rationnellement liés à cet objet; 2) la loi porte atteinte de façon minimale au droit en question; et 3) il existe une proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi.
Il ressort des débats législatifs qui mènent, en 2005, à l'adoption du projet de loi C-2 (Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada) que la protection des enfants se révèle au cœur des préoccupations du législateur. Le résumé législatif de ce projet de loi, lequel énumère les nouvelles dispositions du Code criminel sur la pornographie juvénile, et les débats à la Chambre des communes confirment en outre l'intention du législateur de limiter les moyens de défense. L'étude de ces débats révèle également que l'arrêt R. c. Sharpe se trouve intimement lié à la décision du législateur d'apporter des modifications au Code criminel. À l'évidence, comme la Cour suprême du Canada reconnaît dans l'arrêt Sharpe que l'objectif législatif de criminaliser la possession de pornographie juvénile constituait une préoccupation urgente et réelle pour le législateur, l'on voit mal comment on pourrait conclure autrement dans le cadre de la présente affaire alors que le législateur veut édicter davantage de moyens pour atteindre son objectif en modifiant le Code criminel par le projet de loi C-2. La Cour suprême du Canada réitère aussi dans les arrêts R. c. K.R.J. et R. c. Friesen que la protection des enfants constitue l'une des valeurs essentielles de la société canadienne et que la violence sexuelle que certains subissent constitue un sérieux problème social requérant l'intervention du législateur. En l'espèce, il n'existe aucune raison pour ne pas reconnaître que la criminalisation de la production de pornographie juvénile, qui vise, entre autres, à réduire l'exploitation des enfants et à contrer la détérioration des comportements sociaux à leur égard, constitue un objectif législatif réel et urgent. Le fait que le législateur agisse pour contrer l'arrêt Sharpe n'y change rien. Il s'agit là d'une prérogative de celui-ci que l'on ne saurait remettre en question.
Examinons maintenant le caractère proportionnel des moyens choisis par le législateur en fonction de l'objet de la loi. Il s'agit de voir, dans un premier temps, s'il existe un lien rationnel entre les moyens adoptés par le législateur et l'objet de la loi. Le test du lien rationnel n'exige rien de plus qu'une démonstration que les moyens retenus par le gouvernement favorisent logiquement la réalisation des objectifs légitimes et importants du législateur. Ainsi, la logique et la raison, combinées à des éléments de preuve, doivent permettre d'établir que les moyens poursuivis par le législateur permettent d'atteindre ces objectifs. En l'espèce, le législateur se déchargera de son fardeau de démonstration en s'appuyant sur des éléments qui établissent l'existence d'une appréhension raisonnée de préjudice aux enfants. Avec égards, les préoccupations qui animaient le législateur en 2005 doivent trouver non seulement une résonnance, mais également une application en l'instance. En effet, l'écoulement du temps ne permet pas de conclure à l'existence d'une certaine évolution sociale qui justifierait de s'écarter des énoncés contenus dans l'arrêt Sharpe. L'on peut même affirmer que l'évolution sociale tend même à dénoncer toute forme d'exploitation sexuelle, à plus forte raison lorsque l'on se trouve en présence de personnes mineures. Les énoncés de l'arrêt Sharpe à ce sujet permettent ici, sans l'ombre d'un doute, de conclure à l'existence de ce lien rationnel qui vaut autant pour l'infraction de possession de pornographie juvénile que pour celle de production de pornographie juvénile.
Analysons, dans un deuxième temps, si les dispositions législatives contestées portent atteinte de façon minimale au droit à la liberté d'expression. L'analyse de l'atteinte minimale vise à répondre à la question suivante : existe-t-il des moyens moins préjudiciables de réaliser l'objectif législatif? En l'instance, l'accusation porte sur des dispositions législatives qui n'existaient pas lors du prononcé de l'arrêt Sharpe et qui ont été introduites au Code criminel en 2005. De plus, le ministère public reconnaît que le premier moyen de défense, celui que l'on retrouve à l'al. 163.1(6)a) C.cr. et qui est relié à un but légitime lié aux arts, s'applique. Ainsi, la seule question qui subsiste porte en réalité sur le critère relié à l'existence d'un risque indu pour les mineurs que l'on retrouve à l'al. 163.1(6)b) C.cr.
Il existe un lien très fort entre la production de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants. Cependant, il faut faire une distinction entre le matériel qui expose une réalité tangible, des vidéos, des photos et même des dessins, par exemple, et une fiction littéraire. Ici, il ne s'agit pas de produire du matériel de pornographie juvénile uniquement pour un usage légal personnel, tel qu'explicité dans l'arrêt Sharpe, mais plutôt d'une représentation fictionnelle de scènes de pornographie juvénile contenues dans une œuvre littéraire que l'on veut rendre accessible au public en général. Contrairement au cas d'œuvres créées uniquement pour un usage personnel, dont la nature expressive extrêmement privée tombe profondément au cœur des libertés garanties par l'al. 2b) de la Charte canadienne, la représentation même fictionnelle de pornographie juvénile ne se situe pas au même niveau, puisque ce genre de discours ne possède pas une valeur sociale identique dans tous les cas. La valeur sociale sera minimale, voire inexistante, dans certains cas, mais elle sera beaucoup plus importante dans d'autres cas. Ainsi, a priori, en créant les moyens de défense prévus aux al. 163.1(6)a) et b) C.cr., le législateur semble adéquatement répondre au fléau de la pornographie juvénile, en permettant quand même la tenue d'un discours incorporant des éléments de pornographie juvénile dont les attributs en matière de justice, de science, de médecine, d'éducation ou des arts ne poseront cependant pas de risque indu pour les personnes mineures.
Il existe pour les victimes de pédophilie un droit indéniable, on pourrait même dire un devoir si celles-ci le désirent, de raconter leurs histoires. Ce type de discours participe à l'essence même de la liberté d'expression : la recherche de la vérité, de la liberté, de l'épanouissement personnel, de l'affranchissement du poids énorme que représente le fait de vivre avec une réalité possiblement jusqu'alors indicible. Dans cette prise de parole sociale, pour certaines personnes, il s'agit d'abord et avant tout de se libérer d'un mal-être et d'une honte intimement et injustement ressentie, ou de chercher à dénoncer des crimes pervers et inhumains. Pour d'autres, la prise de parole permet de fonder une recherche de justice, peu importe sa nature, de se sentir écoutées, entendues et soutenues. Et pour plusieurs, la prise de parole participe à la recherche d'un débat social quant au sort réservé aux victimes et aux agresseurs, ce qui constitue la motivation de leur discours. Évidemment, pour beaucoup, le fait de révéler publiquement l'existence de ce genre d'événement inclut plusieurs de ces motivations. La victime doit pouvoir transmettre son message à qui elle veut bien, qu'il s'agisse d'un seul interlocuteur ou du monde entier, sans devoir se sentir limitée par un carcan législatif. De tels récits, racontés possiblement sans compromis, de manière crue et directe, peuvent apparaître scabreux. Ils constituent assurément du matériel littéraire qui tombe sous la définition légale de pornographie juvénile contenue à l'al. 163.1(1)c) C.cr. Le moyen de défense prévu à l'al. 163.1(6)b) C.cr. constitue donc le seul moyen pour ces victimes d'échapper à la criminalisation de leurs discours.
Pour revenir plus précisément à l'analyse des dispositions en cause, et plus particulièrement sur l'effet combiné des al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr. , il apparaît très important de noter qu'avant les modifications apportées par le législateur aux dispositions du Code criminel traitant de pornographie juvénile, la définition de pornographie juvénile qui visait les écrits comportait les notions « préconise ou conseille » une activité sexuelle avec une personne mineure. La présence de ces mots, avant les amendements législatifs de 2005, faisait en sorte que le matériel littéraire semblable à celui de l'accusé ainsi que les récits autobiographiques écrits par des victimes qui dénoncent leurs agresseurs en racontant leurs histoires personnelles ne pouvaient se trouver visés par une telle définition. Au niveau de l'atteinte minimale à la liberté d'expression, une constatation s'impose donc. À l'évidence, un vaste pan d'une certaine littérature pornographique contenant des passages de pédopornographie et certaines œuvres d'autres natures qui contiennent de tels passages se trouvent maintenant visés par cette nouvelle définition du Code criminel. Ainsi, de nombreuses personnes et institutions publiques, on pense à des bibliothèques universitaires, municipales ou scolaires ainsi que des librairies, se retrouvent potentiellement en position de faire l'objet d'accusation de possession ou de distribution de pornographie juvénile puisqu'elles possèdent, prêtent ou vendent de telles œuvres. Certains individus, tel l'accusé, peuvent même raisonnablement se demander pourquoi l'on choisit de s'attaquer à leur livre, alors que d'autres œuvres qui apparaissent assurément graveleuses dans leur contenu, puisqu'elles relatent des relations sexuelles entre des enfants et des adultes, se retrouvent dans ces mêmes lieux. Évidemment, il ne s'agit pas ici de décider de cette question, mais elle illustre cependant le caractère extrêmement large et, dans une certaine mesure, aléatoire du régime législatif actuel qui permet de s'attaquer au matériel littéraire de même nature.
Il n'apparaît pas déraisonnable de conclure, même en l'absence d'une preuve scientifique à cet effet, puisque le bon sens demeure toujours un outil décisionnel utile en semblable matière, que pour un esprit pervers ou dépravé, tout matériel pédopornographique, écrit ou visuel, comportera un risque indu pour les personnes mineures puisqu'il servira à alimenter une certaine déviance comportementale. La nature humaine nous apprend que tout est possible, le pire et le meilleur. Bien que l'al. 163.1(6)b) C.cr. puisse constituer, en lui-même, une disposition valide constitutionnellement, il s'avère constitutionnellement déficient parce que, comme on doit le faire, il faut l'analyser en conjonction avec la définition de pornographie juvénile de l'al. 163.1(1)c) C.cr. En effet, l'analyse de l'al. 163.1(6)b) C.cr. s'effectue en tenant compte de l'ensemble des dispositions législatives qui traitent de pornographie juvénile, et particulièrement de l'al. 163.1(1)c) C.cr. Ainsi, en présence d'écrits, l'absence des mots « préconise ou conseille » (ou leur équivalent) dans la définition de pornographie juvénile amoindrie de façon fondamentale le droit à la liberté d'expression, notamment celle des personnes qui désirent exprimer en termes explicites les sévices qu'elles ont vécus aux mains de personnes pédophiles.
Reste à déterminer s'il existe une proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi. On ne peut sous-estimer l'effet inhibiteur des procédures judiciaires actuelles contre l'accusé qui découle des nouvelles dispositions du Code criminel. La lettre de l'Association canadienne des libertés civiles adressée à la ministre de la Justice du Québec l'illustre bien, tout comme le mémoire relatif au projet de loi C-2 que l'Union des écrivains québécois a présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Sans aucun doute, l'accusé subit une tension psychologique grave reliée à plusieurs stigmates sociaux dépassant largement la tension ou l'angoisse ordinaire découlant de toute accusation criminelle plus commune. À l'évidence, l'infraction de production de pornographie juvénile comporte d'importants stigmates sociaux qui entraînent des incidences sérieuses sur la réputation des individus, leurs relations interpersonnelles, leur intégrité psychologique ainsi que, potentiellement, leur emploi. On ne peut faire abstraction du contexte social actuel qui montre le sort que l'on réserve à toute personne suspectée d'une inconduite de nature sexuelle pour se convaincre de l'impact de ce genre d'accusation sur un individu. Certains pourraient affirmer qu'il s'agit là de risques purement hypothétiques et que, par conséquent, cela ne peut servir de fondement à toute détermination à ce sujet. On ne partage pas ce point de vue. On ne peut convenir qu'il faut s'en remettre à la discrétion du ministère public pour s'assurer que d'autres procédures judiciaires n'interviendront pas dans le futur à l'endroit de matériel littéraire semblable à celui produit par l'accusé. Il ressort de la preuve non contredite qu'un segment de cette littérature participe de façon indéniable aux valeurs qui sous-tendent la liberté d'expression, en l'occurrence l'épanouissement personnel, la réalisation de soi, la dignité humaine, la conscience de soi, la participation à la vie sociale et aux délibérations entourant le sort des victimes et des personnes accusées ou reconnues coupables d'infractions relatives à la pornographie juvénile. La validité constitutionnelle des dispositions législatives quant à la pornographie juvénile, et plus particulièrement les al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr. qui forment un tout cohérent pour les fins de l'analyse, se trouve grandement diminuée par le fait qu'une certaine catégorie de matériel expressif qui se trouve au cœur des valeurs qui sous-tendent le droit à la liberté d'expression se voit maintenant susceptible de poursuite criminelle. Ainsi, l'existence combinée des al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr. ne s'avère pas proportionnée sur le plan de ses effets et l'atteinte à l'al. 2b) de la Charte canadienne ne peut se justifier aux termes de l'article 1 de la Charte canadienne.
Vu la possibilité d'un emprisonnement minimal d'un an et maximal de 14 ans, il s'avère indubitable que le droit à la liberté de l'accusé se trouve menacé. Ainsi, cette possible atteinte doit se conformer aux principes de justice fondamentale protégés par l'art. 7 de la Charte canadienne. Les dispositions attaquées ne doivent donc pas se révéler arbitraires ou sans aucun lien avec leur objet ou posséder une portée excessive ou un effet totalement disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi. En assujettissant tel qu'il le fait en 2005 la pédopornographie à toutes descriptions d'un acte sexuel avec un enfant, dans un but sexuel, et dans un écrit dont il s'agit là de la caractéristique dominante, le législateur se trouve, potentiellement, à englober des œuvres qui visent à décrire et à explorer différents aspects de la vie et qui, de manière incidente, font le récit d'actes illégaux accomplis avec des enfants. L'œuvre de l'accusé en devient un exemple patent. Voilà pourquoi il y a une violation de l'art. 7 de la Charte canadienne.
Enfin, bien que la notion de « risque indu » que l'on retrouve dans le libellé de l'al. 163.1(6)b) C.cr. ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction, il appartient à l'accusé de faire valoir des éléments de preuve qui pourraient soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité. La défense prévue à cette disposition, comme toutes les défenses qui ne comportent pas la nécessité de se décharger d'un fardeau précis, ne contrevient pas à l'al. 11d) de la Charte canadienne.
En l'espèce, contrairement à la situation dans l'arrêt Sharpe, il ne s'agit pas d'invalider une disposition législative simplement parce que l'accusé soulève une application hypothétique qui ne possède aucun lien avec son propre cas, mais plutôt de constater l'effet réel potentiel de la portée combinée des al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr., entre autres, sur un pan important de la littérature déjà existante. Bien que l'on n'en discute pas en profondeur, on peut raisonnablement affirmer que d'autres types de genres littéraires entraînent la même conclusion, dans la mesure où les propos ne préconisent pas ou ne conseillent pas une activité sexuelle avec une personne mineure. Force est donc de conclure que l'inclusion des notions « préconiser » et « conseiller » une activité sexuelle avec une personne mineure (ou un équivalent) constitue un prérequis à la validité constitutionnelle de dispositions législatives qui traitent de la criminalisation d'écrits contenant des passages de pédopornographie. Ici, cette lacune se manifeste par la combinaison des al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr. Il appartient au législateur de corriger cette déficience constitutionnelle. Ainsi, le remède approprié se trouve dans une déclaration d'inconstitutionnalité des al. 163.1(1)c) et 163.1(6)b) C.cr. Cette déclaration d'inconstitutionnalité entraîne l'acquittement de l'accusé et de son éditeur.