Le demandeur (Ferdia) est un homme de confession musulmane. Le 16 avril 2018, il a été embauché par la société défenderesse (GYG) en tant que commis d’entrepôt. Son lieu de travail était à Terrebonne et il travaillait sur le quart de nuit. Comme il habite à Montréal et qu’il n’était pas en mesure de se rendre par lui-même à son lieu de travail, le président de GYG, le codéfendeur Guertin, se chargeait de son transport. Au cours de l’un de ces trajets, alors que les deux hommes étaient seuls, Guertin a posé une question à Ferdia que celui-ci qualifie de discriminatoire. Nous y reviendrons. Par ailleurs, au début du mois de juin, Guertin a pris la décision de cesser de transporter ses employés du quart de nuit jusqu’à leur lieu de travail. Comme Ferdia n’était pas en mesure de se rendre à Terrebonne par ses propres moyens, cela a eu pour effet de lui faire perdre son travail. Ferdia ne croit pas l’explication donnée par Guertin selon laquelle il était fatigué d’offrir ce transport. Selon lui, les défendeurs l’ont congédié pour un motif discriminatoire relié à ses croyances religieuses. Enfin, le 14 juin, au cours d’une rencontre avec Guertin visant à finaliser la fin d’emploi, Ferdia a tenté d’obtenir plus de détails sur les propos tenus lors du trajet automobile. Or, au cours de cet entretien, Guertin a utilisé une expression qui ajoute à l’indignation de Ferdia, soit celle de « téléphone arabe ». Outré par la conduite des défendeurs à son endroit, Ferdia a déposé la présente demande par laquelle il leur réclame 19 980 $ à titre de dommages-intérêts, en application des art. 4, 10, 16 et 49 de la Charte québécoise.
L’art. 10 de la Charte garantit à toute personne le droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, de ses droits et libertés, sans distinction, exclusion ou préférence fondée, notamment, sur la race, la religion et l’origine ethnique ou nationale. Ferdia reproche tout d’abord à Guertin ses propos faisant un lien entre le ramadan et l’hygiène corporelle des personnes de confession musulmane. Guertin admet que, au cours d’un trajet automobile, il a mentionné à Ferdia qu’il avait reçu des plaintes d’autres travailleurs relativement à son odeur corporelle. Pour lui, ce genre de problème n’est pas inhabituel, vu la nature du travail accompli par ses employés et l’environnement dans lequel ils oeuvrent. Il a demandé Ferdia de toujours s’assurer d’avoir des vêtements propres. Il lui a ensuite demandé s’il se douchait pendant le ramadan. C’est cette question qui n’a pas passé pour Ferdia. Guertin nie le caractère discriminatoire de sa question, mais le tribunal estime qu’il s’agit de propos discriminatoires. Bien que formulés sous la forme d’une question plutôt que d’une affirmation ou d’une insulte, de tels propos sont objectivement péjoratifs, car ils associent de façon stéréotypée une pratique religieuse à la malpropreté, à un manque de soins corporels ou à l’acceptation volontaire d’un état physique désagréable pour autrui. Les propos n’ont pas été prononcés par Guertin dans le but d’humilier ou de rabaisser Ferdia. C’est cependant l’effet qu’ils ont produit. Par ignorance ou par insouciance, Guertin a répété une information fournie plus de dix ans auparavant par un autre employé de confession musulmane, qui lui avait dit qu’il ne se lavait pas pendant le ramadan, en l’appliquant à Ferdia plutôt qu’en considérant qu’elle pouvait plutôt refléter une pratique personnelle de cet autre employé. Il ressort clairement du témoignage de Ferdia que ces propos ont entraîné une blessure morale, source d’humiliation et de frustration. Ils ont porté atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité, garanti par l’art. 4 de la Charte.
Il en est autrement en ce qui concerne l’utilisation par Guertin des mots « téléphone arabe ». Bien qu’une telle expression ait pu surprendre Ferdia, voire le vexer, elle ne comporte aucun élément de discrimination. Cette expression imagée du langage populaire désigne le risque associé à la modification d’un message au fur et à mesure qu’il est répété d’une personne à une autre. Dans son sens usuel, elle ne constitue pas une façon de dénigrer les personnes arabes et n’a strictement rien à voir avec l’origine ethnique ou nationale des divers locuteurs impliqués dans la communication. Le langage populaire fournit plusieurs expressions qui contiennent une référence nationale ou territoriale sans pour autant être discriminatoires. L’utilisation de telles expressions dans le cadre d’une communication avec un membre de la communauté concernée peut être perçue comme un manque de tact ou de sensibilité, sans pour autant avoir pour effet de détruire ou de compromettre l’exercice en pleine égalité de son droit à la sauvegarde de sa dignité.
Ferdia n’a pas démontré non plus l’existence d’un lien entre un motif prohibé de discrimination et son congédiement ni même qu’un tel motif ait constitué un facteur ayant contribué à son congédiement. Sa terminaison d’emploi résulte de la décision de Guertin de cesser de transporter ses employés travaillant la nuit. Il a expliqué qu’il avait fourni ce service pendant quatre ans, qu’il était fatigué et que, en juin 2018, il ne transportait plus qu’un seul employé, soit Ferdia. Il n’y a aucune raison de mettre en doute sa sincérité, d’autant plus qu’il n’avait aucune obligation légale de transporter ses employés. C’est parce que Ferdia n’était pas en mesure de se rendre par ses propres moyens à son lieu de travail que son emploi a pris fin, et non en raison de ses convictions religieuses, de son origine ethnique ou nationale ou en raison des plaintes relatives à son odeur corporelle. En l’absence d’éléments plus probants, le simple fait que son congédiement soit survenu peu de temps après les remarques de Guertin à ce sujet n’est pas suffisant pour permettre de relier les deux événements. On ne peut donc conclure que Ferdia a fait l’objet d’un congédiement discriminatoire.
Seule la plainte concernant les propos de Guertin reliés au ramadan est fondée. La réparation à laquelle Ferdia a droit ne concerne donc que cet événement. Il en résulte que la réclamation d’un montant de 6 480 $ à titre de dommages matériels pour la perte de revenus est rejetée. Pour ce qui est du dommage moral, pondérant tous les facteurs les uns par rapport aux autres, le tribunal considère qu’une compensation de 1 000 $ est suffisante. Guertin agissait en sa qualité de président de GYG lorsqu’il a prononcé les propos discriminatoires, de sorte que la responsabilité solidaire des deux défendeurs est engagée.
La situation ne donne pas ouverture à l’octroi de dommages punitifs. En effet, la preuve ne démontre pas une atteinte illicite et intentionnelle de la part de Guertin ni qu’il a agi avec la volonté de produire des conséquences néfastes chez Ferdia ou en toute connaissance des conséquences probables de sa conduite.