Dans l’arrêt Dupuy c. Leblanc (EYB 2016-267676 – Texte intégral | Fiche quantum), la Cour d’appel traite brièvement mais efficacement de la question du délai de prescription. Quand le délai de prescription commence-t-il à courir ? Est-ce à partir du moment où l’acheteur prend connaissance de certains indices ou est-ce lorsque l’acheteur découvre la source du problème ?
Les faits à retenir sont les suivants : en 1979, le vendeur initial (l’appelant) vend trois immeubles à une société qui, elle-même, revend en 1982 ces trois immeubles au demandeur (l’intimé). L’intimé revendra par la suite un immeuble et conservera les deux autres, lesquels feront l’objet de son recours pour vices cachés contre le vendeur antérieur (la société ayant vendu les immeubles en cause à l’intimé en 1982 ayant été dissoute).
« s'il n'est pas nécessaire de connaître l'étendue des dommages subis pour intenter un recours pour vice caché, encore fallait-il que la cause des défauts observés soit identifiée »
En 2006, soit près d’un quart de siècle après avoir fait l’acquisition des deux immeubles en cause, l’intimé note la présence de fissures sur les murs de fondations et reçoit également une plainte d’une locataire au début octobre 2006 pour le soulèvement de son plancher par endroits. Par la suite, vers la mi-octobre 2006, l’intimé se fait recommander par un entrepreneur en construction de procéder à un test de pyrite, ce qu’il fit effectuer.
C’est ainsi que le 2 novembre 2006, l’intimé reçoit les résultats et apprend la présence de pyrite sous la dalle de béton, le soulèvement des planchers dont se plaignait la locataire y étant attribuable.
Après avoir dénoncé le vice et mis le vendeur initial en demeure, l’intimé institue finalement le 26 octobre 2009 un recours pour vices cachés contre celui-ci. Or, considérant que les premiers indices du problème de pyrite sont apparus à la fin du mois de septembre 2006, est-ce que le recours de l’intimé est prescrit ?
La Cour d’appel, rappelant que la question de prescription en est une mixte de fait et de droit (voir Ronis c. Pavillet, EYB 2010-178537 – Texte intégral | Fiche quantum), confirme la décision de première instance selon laquelle le recours pour vices cachés n’est pas prescrit et s’exprime comme suit :
[20] L'argument de prescription ne peut réussir.
[21] Le juge de première instance considère que le point de départ du délai raisonnable pour dénoncer le vice caché et du calcul de la prescription extinctive est le 2 novembre 2006, au moment où l'intimé prend connaissance du rapport d'analyse de sol sur la cause des imperfections observées. L'appelant soutient que la prescription commence plutôt à courir dès le moment où l'intimé a pris connaissance des premiers indices du préjudice.
[22] La prescription est, au mieux, une question mixte de fait et de droit, ce qui emporte déférence de la part d'une cour d'appel. Cela dit, s'il n'est pas nécessaire de connaître l'étendue des dommages subis pour intenter un recours pour vice caché, encore fallait-il que la cause des défauts observés soit identifiée, d'autant que les immeubles en cause avaient été construits près de 30 ans plus tôt. Ce n'est qu'au moment où l'intimé prend connaissance, le 2 novembre 2006, du rapport d'analyse de sol qu'il est en mesure d'identifier la source ou la cause du préjudice subi et qu'il dispose des informations suffisantes pour dénoncer le vice découvert et intenter un recours contre l'un ou l'autre des vendeurs successifs des immeubles. L'intimé ne pouvait pas attribuer une quelconque part de responsabilité à ces derniers avant d'apprendre par l'analyste de sol que les indices observés résultaient d'un vice caché (la présence de pyrite).
[23] Par ailleurs, les aveux judiciaires consignés par l'intimé dans ses procédures et dans les précisions apportées par ce dernier le 11 janvier 2010 ne sont pas incompatibles avec cette détermination. En effet, jusqu'à la prise de connaissance du rapport d'analyse qui identifiait la pyrite comme cause du gonflement des planchers, tout n'était que pure hypothèse, malgré les démarches entreprises avec diligence pour découvrir la source des fissures et de gonflement observés.
« jusqu'à la prise de connaissance du rapport d'analyse qui identifiait la pyrite comme cause du gonflement des planchers, tout n'était que pure hypothèse »
Il y a ainsi lieu de différencier entre la découverte d’indices ne menant qu’à des hypothèses non validées et l’obtention d’informations suffisantes permettant d’identifier la source ou la cause du préjudice subi et pouvant permettre à un acheteur de procéder à la dénonciation du vice découvert. Le délai de prescription ne commencera donc à courir qu’à partir du moment où l’acheteur disposera d’informations suffisantes pour procéder à la dénonciation et non à partir de la découverte des premiers indices si ces derniers ne mènent qu’à de pures hypothèses.
Ceci étant, il est important de ne pas confondre « la cause des défauts observés » et « l’étendue des dommages subis », la connaissance de l’ampleur du problème n’étant pas nécessaire pour instituer un recours pour vices cachés alors que la connaissance de la cause des problèmes permet d’instituer un tel recours.
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