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Lévesque c. Vidéotron -- Une remise en question du critère du représentant adéquat (par. 1003d) C.p.c.) ?

Par Me Shaun Finn, McCarthy Tétrault
Blogue juridique

Le contexte

Dans l’affaire Lévesque c. Vidéotron, 2015 QCCA 205, le requérant demande l’autorisation d’intenter un recours collectif contre trois sociétés Vidéotron et d’agir pour le compte de personnes abonnées qui ont utilisé le service Illico afin de commander des « Films pour adultes, Torride ». Selon le requérant, Vidéotron aurait contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.) en énonçant que la durée de location pour ces films est de 24 heures alors qu’elle ne serait, en fait, que de 9 à 18 heures.

La juge de première instance (l’honorable Carole Hallée) rejette le recours envisagé pour deux motifs. Dans un premier temps, le requérant « n’a pas mené d’enquête et n’a pas cherché d’autres abonnés ayant une situation similaire à la sienne » et « n’a pas non plus fourni une estimation des personnes lésées » (par. 95, 96). Le critère du paragraphe 1003d) du Code de procédure civile (C.p.c.) n’est donc pas respecté. Dans un second temps, invoquant le principe de la proportionnalité codifié à l’article 4.1 C.p.c. en conjonction avec l’exigence du paragraphe 1003d) C.p.c., la juge conclut que le recours envisagé est périlleux et qu’il était opportun pour le Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour y mettre fin (par. 99-101).

Le requérant se pourvoit de la décision.  

La décision de la Cour d’appel

Pour sa part, la Cour d’appel (les honorables Morin, Giroux et Bélanger) donne raison au requérant (devenu appelant), infirme la décision de première instance et autorise le recours collectif. Se penchant plus particulièrement sur le paragraphe 1003d) C.p.c., la juge Bélanger explique que dans un contexte d’abonnement, la préenquête dont parle l’arrêt DelGuidice c. Honda Canada inc. , 2007 QCCA 922, devrait être atténuée :

[26] Il est exact de dire que, généralement, une personne qui veut se voir reconnaître le statut de représentant d’un groupe ne peut se contenter de présenter son seul dossier pour obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif. Elle doit effectuer certaines démarches qui lui permettront de démontrer qu’elle n’est pas seule dans sa situation et que plusieurs autres personnes démontrent un intérêt à poursuivre. En bref, elle doit démontrer l’existence d’un véritable groupe. En effet, le juge saisi de la demande d’autorisation a besoin d’un minimum d’informations sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe visé pour évaluer le respect du paragraphe 1003 c) C.p.c. De plus, il a souvent besoin de précisions pour évaluer l’insatisfaction des membres du groupe et la pertinence de recourir à l’action collective.

[27] Toutefois, le niveau de recherche que doit effectuer un requérant dépend essentiellement de la nature du recours qu’il entend entreprendre et de ses caractéristiques. Si, de toute évidence, il y a un nombre important de consommateurs qui se retrouvent dans une situation identique, il devient moins utile de tenter de les identifier. Il est alors permis de tirer certaines inférences de la situation.

[28] Le recours proposé ici a ceci de particulier que l’on peut présumer que les intimées possèdent toutes les données nécessaires à l’estimation du nombre d’abonnés concernés par le recours, ainsi que le nombre de locations de « Films pour adultes – Torride » effectuées par ces derniers. […] (Nos soulignements)

La juge Bélanger est aussi d’avis que la juge de première instance a invoqué l’article 4.2 C.p.c. à mauvais escient en conjuguant le principe de proportionnalité avec le mauvais critère d’autorisation.

Il ressort de ces extraits que, comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, le seuil établi par le paragraphe 1003d) C.p.c. est plutôt bas. En effet, selon la Cour suprême :

[149] Selon l’alinéa 1003d) C.p.c.,« le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant [doit être] en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres ». Dans Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs (1996), P. C. Lafond avance que la représentation adéquate impose l’examen de trois facteurs : « . . . l’intérêt à poursuivre [. . .], la compétence [. . .] et l’absence de conflit avec les membres du groupe . . . » (p. 419). Pour déterminer s’il est satisfait à ces critères pour l’application de l’al. 1003d), la cour devrait les interpréter de façon libérale. Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement. (Nos soulignements)

Conclusion

Somme toute, considérant l’approche permissive préconisée par les tribunaux à l’égard de la question commune (par. 1003a) C.p.c.) et du caractère adéquat du représentant proposé (par. 1003d) C.p.c.) et considérant, de plus, la nature souvent théorique du paragraphe 1003c) C.p.c., le critère de la cause défendable (par. 1003b) C.p.c.) est presque le seul récif sur lequel les recours collectifs peuvent encore s’abattre.

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À propos de l'auteur

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).