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Anne-Marie Péladeau obtient gain de cause dans le litige concernant le rachat de ses actions, Les Placements Péladeau inc. devant lui verser la somme de 36 192 328 $ nonobstant appel.

Résumé de décision : Péladeau c. Placements Péladeau inc., C.S., 30 avril 2020
Anne-Marie Péladeau obtient gain de cause dans le litige concernant le rachat

Le principe de prudence empêche de statuer que la demanderesse n’a pas l’intérêt juridique suffisant pour faire certaines réclamations et conclure que ses conclusions ne sont pas fondées en droit. Celle-ci recherche le respect de ses engagements contractuels par la défenderesse, soit le paiement du prix de vente et le rachat de la totalité des actions privilégiées qui sont exigibles, selon elle, depuis près de sept ans. Le moment de l’exigibilité de ce paiement est une question mixte de fait et de droit et un procès est nécessaire pour trancher cette question.

Les demandes pour réouverture des débats présentées par chacune des parties au cours du délibéré sont accueillies puisque les éléments qu'elles cherchent à mettre en preuve sont pertinents.

La procédure de la demanderesse est de la nature d’une demande en exécution par équivalent d'un véritable contrat de vente par lequel elle a vendu à la défenderesse tous les intérêts directs ou indirects qu'elle détenait dans l'entreprise défenderesse. Force est de reconnaître, contrairement à ce que prétend la partie opposée, qu'elle a rempli sa part en délivrant les biens vendus quelques mois après la signature de l'entente. Tant les dispositions de cette dernière que celles de la convention de rachat d’actions et de celles de la convention d’achat d’éléments d’actifs confirment que la défenderesse a pris possession de tous les intérêts directs et indirects de la demanderesse. Les 180 actions ordinaires et privilégiées qu'elle détenait ont été converties et cette conversion a entraîné, tant sur le plan corporatif que civil et fiscal, la disposition et l’aliénation de celles-ci conformément à l'entente. Le premier article du contrat mentionne le prix de vente, mais ne précise pas quand et comment celui-ci est payable. Le fait qu'il soit indiqué que la vente est faite « selon les termes et conditions ci-après stipulés » est sans incidence puisque cette expression est un anglicisme qui signifie « selon les modalités ci-après stipulées ». C'est véritablement à la cinquième disposition que sont établies les modalités de paiement. Il ne s’agit pas d’un « mécanisme » en fonction des dividendes de Québecor modulant la somme d'argent à être versée en fonction d’un certain nombre d’actions privilégiées qui pourraient être rachetées. Il existe un lien direct entre le paiement du prix de vente stipulé au premier article du contrat et le rachat des actions privilégiées. En outre, la disposition établissant les modalités de paiement est ambiguë, à la lumière de l'ensemble de l'entente. Elle entraîne des absurdités. Il convient de statuer que les modalités contiennent un terme suspensif incertain ou indéterminé, et non une condition suspensive. Si une telle condition avait été fixée, il serait possible que la demanderesse ne reçoive jamais le paiement de la somme qui lui est due alors qu’elle a délivré tous les biens vendus. En retenant également un seuil minimal de dividendes annuel, dans le meilleur des cas le paiement ne se ferait que 47 ans après la remise du produit de la vente. L'interprétation, qui veut que la demanderesse doive attendre une éternité avant de « peut-être » recevoir le paiement du prix de vente qui lui est dû, est intenable. La conjonction « si » utilisée dans l’expression « si les dividendes versés » doit être interprétée comme signifiant « quand, lorsque » et non « à condition que ». La cinquième disposition a toutes les apparences d’une clause de « paiement sur paiement » qui est maintenant interprétée comme un terme, ce qui est conforme à l’intention des parties, au libellé de la clause et aux circonstances dans lesquels le contrat a été conclu. Elle contient, en outre, un terme suspensif qui suspend l’exigibilité de l’obligation de rachat et de paiement du prix de rachat et, partant, du paiement du prix de vente qui demeure indéterminé puisqu'aucune échéance précise n’a été fixée.

Contrairement à ce que prétend la défenderesse, l’art. 1510 C.c.Q. ne prévoit pas un recours. En fait, son application permet de déterminer le moment de l’exigibilité d’une obligation suspendue par un événement qui était tenu pour certain, mais qui n’arrive pas. Il est conséquemment applicable en l’instance afin de déterminer le jour où est devenue exigible l’obligation de payer le prix de vente. La preuve révèle, en effet, que la défenderesse n’a jamais voulu consentir à une échéance précise. Dans ce contexte, il faut appliquer l'art. 1510 C.c.Q. en se plaçant au jour de l’expiration d’un délai raisonnable de la naissance des obligations. À cet égard, est pertinente l’opinion de l’expert formulée il y a près de 20 ans sur laquelle la Cour supérieure s’est fondée pour donner force exécutoire à l'entente, jugement rendu nécessaire par le fait que la demanderesse soit sous tutelle. Cet expert mentionnait que le rachat se ferait au plus tard le 9 août 2013. Ce jour est donc celui où l’événement mentionné à l'art. 15 10 C.c.Q. aurait dû normalement arriver. Il est vrai qu'à elle seule cette « hypothèse » de l’expert ne peut servir aujourd’hui de fondement à quelque obligation que ce soit incombant à la défenderesse. Or, suivant les dispositions du contrat et ce que les parties et la Cour supérieure ont tenu pour certain, la date retenue par l'expert s'avère déterminante. Ainsi, lors du dépôt du présent recours près de trois ans après cette date, la défenderesse était en défaut d’honorer ses engagements contractuels causant ainsi un préjudice certain, direct et prévisible à la demanderesse.

Le remède qui s'impose est de replacer la demanderesse dans la même situation que celle dans laquelle elle se serait trouvée si la défenderesse avait exécuté ses obligations entièrement, correctement et sans retard. Il n'est pas possible d'interpréter une des clauses de l'entente comme permettant de modifier le prix de vente et de condamner la défenderesse à payer la contrepartie juste et raisonnable pour la valeur des actions de la demanderesse qui avait été déterminée il y a 20 ans capitalisée au taux de 5 % par année, pour un total de 88 471 709 $ en date du 31 mai 2016 selon les calculs de l’expert à cette époque. Les dommages-intérêts payables équivalent à la somme de 38 515 328 $, soit le solde dû, impayé et exigible au 31 mars 2019. De ce montant doit être déduite une somme de 2 323 000 $ comme le prévoit expressément l'entente et le reconnaît la demanderesse.

Il est tout à fait possible de prononcer la condamnation en faveur de la mise en cause 9095-7697 Québec inc., dont les actions de contrôle appartiennent à la fiducie dont la demanderesse est bénéficiaire, puisque c’est elle qui est détentrice des actions privilégiées converties. D'ailleurs, il existe un lien direct entre le prix de vente et le prix de rachat et le contrat prévoit dans les modalités de paiement que le prix d’achat peut être payé à 9095, cette dernière devant, pour sa part, rétrocéder les actions à la défenderesse à la réception du paiement complet de la condamnation.

Subsidiairement, l'application de l’art. 1512 C.c.Q. qui permet de fixer un terme à la demande d’une partie, aurait mené au même résultat.

Comme les dommages-intérêts accordés concernent l’inexécution d’une obligation pécuniaire, soit le retard à payer le prix de vente, l’art. 1617 C.c.Q. s’applique. La clause d’intérêts prévue au contrat fixant un taux à 2 % l'an n'est pas ici de mise puisque le montant accordé en l’instance ne résulte pas d’un rachat d’actions privilégiées, mais du présent jugement. C’est le taux légal qui doit être appliqué à compter du moment où la défenderesse s'est trouvée en demeure de s'exécuter, soit à la date du dépôt du recours. L'indemnité additionnelle doit également être ajoutée.

Il convient de faire droit à la demande pour exécution provisoire quant à la condamnation en capital puisque l'attente d'un jugement d'appel avant d'être payée causera un préjudice sérieux à la demanderesse qui est malade et qui a le droit de recevoir de son vivant le prix de vente des biens qu’elle a remis il y a près de 20 ans. D'ailleurs, la défenderesse a amplement les moyens de payer.

Il y a lieu aussi de réserver le droit des parties de recourir à l’art. 657 C.p.c. si elles n'arrivent pas à se conformer à leur engagement contractuel de limiter au minimum les conséquences fiscales découlant du paiement.

Enfin, les parties ont été condamnées à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente, dans le cadre d’un jugement déclaratoire. Cette obligation de négocier n’entraîne pas une obligation de conclure une nouvelle entente. Rien ne permet de forcer la demanderesse à accepter la proposition soumise qui concerne notamment les honoraires de ses conseillers juridiques.

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