Il y a un an et demi, un incendie est survenu dans l'appartement où résidaient l'enfant, alors âgée de vingt mois, ses parents, son petit frère cadet de trois mois et son demi-frère de 12 ans. Le père a été grièvement blessé et est décédé quelques mois après l'évènement. C'est lui qui a sauvé l'enfant des flammes, laquelle a également été sérieusement brûlée. La mère a été secourue par les pompiers sur le balcon avec le demi-frère. Le frère cadet est décédé lors du sinistre. L'enquête policière a mené au dépôt d’accusations criminelles contre la mère.
Comme la DPJ soutient que la mère a volontairement incendié le domicile familial, le fardeau de preuve reposant sur la balance des probabilités lui revient. Elle n’a pas à présenter une preuve revêtant un degré de certitude hors de tout doute raisonnable. Il appert que deux foyers d'incendie ont démarré à quelques minutes d'intervalle. Le premier, dans la camionnette du père à l'extérieur de l'immeuble et le second, dans l’appartement, à la fois dans la partie supérieure de l’escalier lui donnant accès et dans le vestibule d’entrée de celui-ci. Des traces d'accélérant ont été découvertes et un témoin prétend avoir vu une personne incendié la camionnette. L'ensemble de la preuve et le fait que les deux incendies soient survenus soudainement, avec une grande violence, et aient visé spécifiquement des biens appartenant à la famille de l’enfant permettent de conclure qu'il s'agit d’un geste volontaire.
En outre, plusieurs éléments établissent que le déversement d’essence a probablement été fait à partir de l’intérieur de l’appartement. Il n'est pas possible de retenir les hypothèses de la mère visant une multitude d'autres personnes qui seraient, selon elle, susceptibles d'avoir commis le crime et se seraient possiblement immiscées dans le logement à son insu durant la nuit. Rien ne permet de croire que l’une ou l’autre de ces personnes puissent avoir eu accès à l’intérieur de l'appartement ni l’opportunité d’incendier le domicile. Ainsi, seuls le demi-frère, le père et la mère ont eu l’opportunité d'allumer le feu. En procédant par élimination, force est de conclure que la prépondérance de la preuve pointe vers la participation de la mère à l’incendie. Dans les semaines qui ont précédé la tragédie, elle se disait épuisée, notamment par les pleurs de ses jeunes enfants, les conflits avec ses voisins et les désaccords avec le père. Elle combinait également parfois alcool et médicament. Aussi, ses clés ont été retrouvées près du vestibule fusionnées dans un plastique contaminé d’essence. Elle a été la première éveillée, sans raison apparente, alors qu'elle prenait une médication pour dormir, et était habillée. Elle a également fait des déclarations troublantes post-incendie notamment relativement à film où la maman aurait mis le feu à sa maison et l'aurait regardé se diriger vers une petite fille. Il semble qu'elle ait eu aussi une grande influence sur la version des faits donnée par le père et le demi-frère. Le renversement du fardeau de la preuve sur ses épaules ne lui a pas permis de donner des explications plausibles ou d'écarter les éléments de preuve incriminants. Elle a préféré alléguer que la grand-mère paternelle était folle plutôt que d’admettre les faits clairement véridiques voulant qu'elle ait débuté une relation intime avec un autre homme avant que le père ne soit enterré. Il ressort également de son témoignage une tendance à ajuster sa version en fonction de la preuve entendue. Force est de conclure en l'instance que suivant la balance des probabilités tout porte à croire que la mère a causé l’incendie et que ses gestes sont à l'origine des blessures subies par l'enfant.
Le fait d’avoir volontairement incendié le domicile et conséquemment d'avoir blessé l’enfant constitue, à n'en pas douter, une situation visée par l’art. 38 de la Loi sur la protection de la jeunesse, mais laquelle. Une interprétation stricte et littérale de la notion de sévices corporels exige que le geste du parent soit exercé directement sur l’enfant. Or, comme la présente situation n'est pas visée par l’une des trois formes de négligence susceptibles de compromettre la sécurité et le développement de l’enfant et afin d'assurer l’accomplissement de l’objet principal de la LPJ, une interprétation large et libérale des mots « sévices corporels » s’impose. Ainsi, il y a lieu de statuer qu'il y a abus physiques lorsqu'un enfant subit des blessures, même indirectement, en raison de gestes posés, intentionnellement ou non, par l’un de ses parents. Reste, ensuite, à déterminer si son développement est compromis sur la base de ce motif et il appert que c'est bel et bien le cas en l'espèce. Le geste posé par la mère est grave et l’enfant en subira les conséquences pour le reste de sa vie.
Au surplus, il y a un risque sérieux de négligence en raison du problème de consommation d’alcool de la mère. Même si elle ne consomme pas de façon quotidienne, lorsqu’elle le fait c'est en grande quantité. Il peut lui arriver de perdre contact avec la réalité. Il est illusoire de penser qu’elle pourra maintenir sa sobriété ou une consommation raisonnable sans recevoir de services, d'autant plus qu'elle ne bénéficie plus du soutien du père et qu'elle sera confrontée à une forte dose de stress en lien avec la tenue prochaine du procès criminel. Si elle soutient que sa consommation ne l'a jamais empêchée de s'occuper de ses enfants, la preuve révèle que lors de l'hospitalisation de l'enfant, le personnel médical a eu à veiller sur elle de façon particulière et à lui prodiguer les soins dont elle avait besoin, en l'absence de la mère et alors que cette dernière avait été avisée que l'enfant réagissait mal lorsqu'elle était laissée seule et qu'elle la réclamait, mais que face à son absence, elle se mutilait. De plus, il faut tenir compte du fait que l'enfant est une grande brûlée, qu'elle a subi de nombreuses greffes de peau et deux amputations du membre inférieur droit. Elle reçoit des soins rigoureux et quotidiens. Elle doit suivre un horaire et une routine stricts. Elle doit porter des vêtements compressifs qui demandent un entretien spécifique et des plaques de silicone qui doivent être changées aux douze heures et laver. Elle a un régime alimentaire particulier et doit avoir une hygiène de vie sans faille pour assurer sa guérison. Sa médication doit lui être administrée trois fois par jour par sa stomie. La mère n'est pas en mesure d'assurer l'ensemble de ces soins, ne serait-ce qu'en raison de sa difficulté à se lever le matin à cause de ses troubles de sommeil et de son impossibilité de se déplacer sans l'aide de son entourage, alors qu'elle ne conduit pas. Il y a, qui plus est, un risque sérieux de négligence en raison de sa santé mentale fragile, considérant la quantité de deuils et de stress vécus dans une courte période de temps, alors qu'elle souffre déjà d'un trouble de la personnalité limite. D'ailleurs, à certains moments elle n'a pas été en mesure de prendre des décisions en mettant les intérêts de l'enfant à l'avant-plan. Par le passé, elle s'est aussi montrée incapable d'offrir à celle-ci un logement propre et sécuritaire, un barbecue et sa bombonne propane ayant même été retrouvés par les pompiers au milieu de la salle à manger, à l’intérieur de l’appartement, ce qui aurait pu entraîner une explosion.
L’enfant a été provisoirement confiée à une famille d’accueil qui se dévoue à elle et se montre réellement soucieuse de son bien-être. Concrètement, il est impossible de se ranger à la volonté de la mère de lui confier l'enfant alors qu'elle est soumise à des conditions de remise en liberté et que ses contacts avec celle-ci sont restreints. De toute façon, ce ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant qui a fait des progrès sur plusieurs plans depuis son intégration dans sa famille d'accueil, notamment quant à son alimentation et au niveau langagier. Elle a besoin d'être entourée de gens calmes, vigilants et constants qui pourront l’aider à surmonter ses traumatismes et les défis liés à sa condition. Elle doit être prise en charge de façon exemplaire et quotidienne. Il convient de prolonger son placement en famille d’accueil pour une durée de 12 mois, considérant la gravité des motifs de compromission, la fermeture de la mère aux services d’aide, la non-reconnaissance par cette dernière de ses difficultés personnelles et le stress engendré par les accusations criminelles qui pèsent contre elle.
Des signes de détresse ont été observés chez l'enfant avant et après les contacts avec la mère. Au retour des visites, elle fait d’énormes crises et peut tenter de se mutiler en se mordant. Pendant quelques jours, elle participe difficilement aux soins qui lui sont prodigués. Le fait de la forcer à visiter sa mère plusieurs fois par semaine risque de fragiliser leur relation plus que de la solidifier, alors qu'elle manifeste souvent clairement le désir de ne pas la voir. Il convient de réduire leur fréquence à une fois par semaine. Compte tenu de la gravité des gestes posés par la mère, l’absence complète de reconnaissance de sa part, son instabilité, la fragilité de sa santé mentale et son impulsivité, le tout combiné à la vulnérabilité extrême et aux besoins spécifiques de l’enfant, le maintien de la supervision des contacts est nécessaire.
Pour ce qui est de la grand-mère paternelle, celle-ci est incontestablement une personne significative pour l’enfant. Les contacts entre elles devront être fixés suivant entente entre les parties et n'auront pas à être supervisés.
Enfin, le demi-frère n'a jamais cessé de visiter l'enfant. Il démontre un réel intérêt envers elle et leurs rencontres sont on ne peut plus bénéfiques. Il y a lieu de les maintenir.