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La compétence d’appel attribuée à la Cour du Québec est confirmée, mais les dispositions de l’article 35 C.p.c. qui fixent à moins de 85 000 $ la compétence pécuniaire exclusive de cette cour sont jugées invalides, en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867

Résumé de décision : Dans l'affaire: Renvoi à la Cour d'appel du Québec portant sur la validité constitutionnelle des dispositions de l'article 35 du Code de procédure civile qui fixent à moins de 85 000 $ la compétence pécuniaire exclusive de la Cour du Québec et sur la compétence d'appel attribuée à la Cour du Québec, EYB 2019-316229, C.A., 12 septembre 2019
La compétence d’appel attribuée à la Cour du Québec est confirmée

DEMANDE en jugement déclaratoire concernant la validité constitutionnelle des dispositions de l'article 35 du Code de procédure civile qui fixent à moins de 85 000 $ la compétence pécuniaire exclusive de la Cour du Québec et sur la compétence d'appel attribuée à cette même cour. ACCUEILLIE en partie.

Les juges Duval Hesler, Bich, Kasirer, Levesque, Vauclair, Mainville et Hogue. Afin d’éviter que l’interprétation de la première question en litige revienne à en créer une toute nouvelle, il faut répondre à celle-ci telle qu’elle a été formulée. Ainsi, la position des juges en chef de la Cour supérieure veut que le législateur québécois puisse – de manière compatible avec l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 – attribuer une compétence en matière civile à la Cour du Québec jusqu’à concurrence d’un plafond pécuniaire déterminé par l’histoire, la loi et la jurisprudence, et ce, même si, en 1867, les tribunaux inférieurs ne jouissaient pas, selon eux, d’une compétence générale en cette matière. La question soumise n’invite donc pas à déterminer si la compétence civile de la Cour du Québec est compatible avec l’art. 96, mais plutôt à établir si le seuil pécuniaire respecte la compétence fondamentale de la Cour supérieure du Québec. Autrement dit, il s’agit de vérifier si la limite contemporaine de 85 000 $ correspond à celle qui était imposée aux cours inférieures provinciales qui ont à l’origine formé la Confédération et s’assurer qu’elle n’attente pas à la compétence fondamentale de la Cour supérieure, ni ne la dépouille ou la restreigne indûment.

Sans amendement constitutionnel, est douteux l’argument de la procureure générale du Québec, qui veut que comme les cours provinciales présentent maintenant des garanties suffisantes d’indépendance, alors que ce n’était pas le cas antérieurement, un plafond pécuniaire n'est plus vraiment requis, ce qui fait en sorte que la Cour supérieure n’aurait pas à exercer sa compétence civile générale en première instance et permettrait que la limite de 85 000 $ dépasse l’indexation de celle qui existait lors de la Confédération. À l’époque, tout comme de nos jours, la compétence générale de première instance, en matière civile, appartient à la Cour supérieure.

La somme de 100 $ est proposée comme limite de la compétence civile des tribunaux inférieurs en 1867. Ce montant, qui a servi de base aux expertises soumises de part et d’autre et qui correspond à la compétence pécuniaire maximale de quelques-unes des cours inférieures chargées d’entendre certaines matières civiles à l’époque, est approprié pour servir de point de départ dans la présente analyse. L’actualisation de celui-ci se situe en deçà du seuil de 85 000 $. En effet, en utilisant la méthode retenue du PIB nominal pour l’année 2017, les experts obtiennent, pour l’année 2017, un montant approximatif variant entre 50 000 $ et 61 000 $.

La question ne peut cependant être résolue par une simple formule mathématique d’actualisation, qui est de toute façon imparfaite et comporte inévitablement des marges d’erreur. D’ailleurs, une augmentation de la limite pécuniaire de la compétence de la Cour du Québec au-delà de l’actualisation réelle n’enfreindrait pas automatiquement la compétence fondamentale des cours supérieures. Il faut tenir compte d’autres facteurs, comme : (1) le seuil pécuniaire prévu pour l’appel de plein droit à la Cour d’appel; (2) les objectifs du législateur lorsqu’il fixe les limites de la compétence de la Cour du Québec et de celle de la Cour supérieure; et (3) les données empiriques et statistiques disponibles.

En établissant un seuil pécuniaire pour les appels de plein droit des jugements dont la valeur en litige en appel est de 60 000 $ et plus, le législateur québécois considère vraisemblablement que les réclamations qui l’atteignent ou l’excèdent sont suffisamment substantielles. Or, il demeure que l’ordre constitutionnel canadien réserve à la Cour supérieure la fonction de trancher les litiges civils substantiels. Ce seuil d’appel est donc pertinent. Force est d’ailleurs de constater qu’il a longtemps existé une parité entre le seuil de l’appel de plein droit à la Cour d’appel et la limite supérieure de la compétence exclusive de la Cour du Québec, sauf depuis les dernières refontes.

L’objectif visant à faciliter l’accès à la justice, quelquefois utilisé pour justifier l’augmentation de la limite de la Cour du Québec, est louable, quoiqu’aucune preuve n’ait été apportée pour établir qu’il pourrait s’en trouver ainsi atteint par cette mesure, mais il ne peut tout de même pas servir à empêcher la Cour supérieure du Québec d’exercer la compétence fondamentale que lui reconnaît la constitution canadienne. Ainsi, l’argument de la PGQ, qui veut que l’effet du dernier amendement soit minime puisque peu de dossiers civils dans la fourchette de 70 000 $ à 85 000 $ ont été ouverts, mène fatalement à ce que la Cour supérieure soit graduellement dépouillée d’un volet important de sa mission en matière civile. La volonté de prévoir l’inflation des prochaines années n’est pas non plus suffisante.

Tout bien considéré, afin de respecter l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, la limite maximale de la compétence de la Cour du Québec en matière civile doit se situer entre 55 000 $ et 70 000 $, sous réserve d’actualisations futures. Il reviendra, dans la prochaine année, au législateur québécois d’amender l’article 35 C.p.c. en conséquence. Entre-temps, cette disposition doit continuer d’être considérée comme valide. En outre, il convient de déclarer que l’effectivité et le caractère pleinement exécutoire des jugements prononcés par la Cour du Québec antérieurement à la date du présent jugement et pendant le délai d’une année au cours duquel la réponse à cette première question du renvoi sera sans effet sont intégralement préservés.

Dans le cadre de la deuxième question soumise, huit régimes législatifs sont invoqués : l’art. 147 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, l’art. 115.16 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers, l’art. 100 de la Loi sur le courtage immobilier, l’art. 379 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers, l’art. 159 de la Loi sur la justice administrative, les art. 240 et 241 de la Loi sur la police, l’art. 91 de la Loi sur la Régie du logement et, enfin, l’art. 61 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Toutes ces dispositions prévoient un appel à la Cour du Québec. Les juges en chef de la Cour supérieure estiment qu’elles sont contraires à l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, sans s’attarder à chacune d’elles individuellement, puisque c’est une inconstitutionnalité générale concernant l’effet de la norme de contrôle à appliquer qui est plaidée. Ils désirent, en fait, que soient utilisées lors de ces appels les normes propres à ce type de pourvoi, plutôt que celles relatives au contrôle judiciaire, qui est de la compétence exclusive de la Cour supérieure.

La qualification de la Cour du Québec, dans l’exercice de ses fonctions d’appel, est primordiale à résolution de la question posée. Si la Division administrative et d’appel se dit spécialisée en cette matière, elle ne l’est pas au sens où cette expression est utilisée en matière administrative. Elle agit dans des domaines très variés, elle est visée par la Loi sur les tribunaux judiciaires (LTJ), ses membres sont des juges et ses règles de fonctionnement ne sont pas plus souples et rapides que celles des autres tribunaux judiciaires. Il ne s’agit pas d’un tribunal spécialisé de l’ordre administratif, mais bien d’un tribunal judiciaire généraliste avec une compétence d’appel particulière. La Division administrative et d’appel, créée par le juge en chef et dont l’existence n’est pas prévue à la LPJ ni à aucune autre loi, est une partie intégrante de la chambre civile. Elle n’est donc pas une entité distincte de la Cour du Québec, et n’est aucunement un tribunal administratif.

Le décideur administratif jouissant d’une expertise spécifique, il est reconnu qu’une attitude déférentielle doit être adoptée par les tribunaux judiciaires qui sont appelés à revoir leur décision. C’est pour cette raison que ce sont les normes du contrôle judiciaire qui doivent être appliquées et non les règles de l’appel, comme l’ont souligné à plusieurs reprises le présent tribunal de même que la Cour suprême. En vertu de la règle du stare decisis, il n’est donc pas possible de faire droit à l’argument des juges en chef de la Cour supérieure. Le raisonnement retenu par la jurisprudence est articulé autour de la distinction fondamentale qui existe entre « tribunaux administratifs spécialisés » et « tribunaux judiciaires généralistes » et, par le fait même, autour de l’importance de la notion d’expertise en droit administratif canadien. Il est bien établi qu’un appel d’un tribunal administratif à une cour de justice (qu’elle soit dite « inférieure » ou « supérieure ») entraîne l’application des normes du droit administratif, alors qu’un appel d’une instance administrative à une autre requiert celles de l’appel.

Le débat émane, en partie, du fait que l’attribution de la compétence à la Cour du Québec en jeu ne peut être qualifiée de pure fonction d’appel. Le fondement du pouvoir de contrôle judiciaire n’étant pas le même que celui d’un pouvoir d’appel, il est impossible de conclure que les cours supérieures ont toujours eu l’exclusivité des pouvoirs d’appel sans ébranler tant les fondements mêmes du droit administratif moderne que ce qui caractérise une cour supérieure, soit un pouvoir de surveillance et de contrôle qui lui est inhérent, par opposition à statutaire. L’appel, en tant que voie de réformation, permet de se pencher sur le bien-fondé d’une décision, alors que le contrôle judiciaire, voie d’annulation, s’intéresse à la légalité de celle-ci. Dans le cadre d’un d’appel autorisé par la loi, c’est la question de savoir si le jugement est bien fondé qui est analysée, alors que dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour supérieure doit se demander s’il est légal, il s'agit alors d'une forme de contrôle de la légalité afin d’assurer une protection de la primauté du droit. L’appel, quant à lui, représente plutôt la dernière étape d’un processus décisionnel. Il englobe néanmoins nécessairement une certaine forme de contrôle de la légalité. Implicitement, les juges en chef de la Cour supérieure se trouvent donc à reconnaître que l’attribution à la Cour du Québec du pouvoir de réviser l’opportunité, la justesse et, partant, la légalité d’une décision serait constitutionnelle, mais que de lui attribuer le pouvoir de réviser uniquement la légalité ne le serait pas.

Par ailleurs, aucune fonction administrative générale n’est présentement attribuée à la Cour du Québec, laquelle a plutôt comme unique fonction de juger. Ainsi, le pouvoir contesté n’est pas uniquement accessoire ou complémentaire à une fonction administrative.

Il semble donc que les pouvoirs conférés à la Cour du Québec en matière administrative soient analogues à ceux exercés par les cours visées à l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

À ceci s’ajoute le fait qu’aucune des lois ici visées n’exclut le pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure ni même ne prévoit de clause privative limitant les pouvoirs de celle-ci quant aux décisions prononcées par la Cour du Québec siégeant en appel. Or, quand le pouvoir de contrôle des cours supérieures sur les questions de compétence est conservé, l’attribution à une cour provinciale d’un pouvoir qui, dans son exercice, y est analogue ne suffit pas à déclarer inconstitutionnel le pouvoir octroyé.

Pour ce qui est du dédoublement de l’application de la norme de la décision raisonnable, s’il peut être de nature à créer une certaine lourdeur judiciaire, il n’a certainement pas pour effet de réduire à néant le pouvoir de la Cour supérieure en matière de contrôle judiciaire. En fait, à proprement parler, lors de ce type de pourvoi en contrôle judiciaire, la décision de la Cour du Québec est écartée et c’est la décision administrative attaquée qui est véritablement contrôlée.

Pour ces raisons, il est déclaré que l’obligation de déférence judiciaire imposée dans le cadre d’appels à la Cour du Québec prévus par les lois en cause est compatible avec l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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