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La Cour détermine si l’« obligation sociale fondamentale » d’un débiteur alimentaire envers un époux créancier dont la condition ne s’améliore pas doit se prolonger indéfiniment à la suite de l’échec du mariage

Résumé de décision : S. (V.) c. L. (F.), sub nom. Droit de la famille – 15161, EYB 2015-248186 (C.S., 6 février 2015)
Blogue juridique

Monsieur demande que soit annulée son obligation de payer une pension alimentaire qu'il verse à madame depuis le divorce des parties en 2001. Madame souffre de divers problèmes de santé et elle ne travaille pas depuis plusieurs années. La question se pose de savoir si l'« obligation sociale fondamentale » de soutien alimentaire des époux se prolonge indéfiniment à la suite de l'effondrement du mariage. En d'autres termes, le débiteur alimentaire peut-il invoquer qu'il a satisfait à son obligation sociale fondamentale, par exemple, après avoir payé une pension alimentaire pendant de nombreuses années, s'il n'y a pas d'amélioration de la condition de l'époux créancier et que l'atteinte de l'indépendance économique est irréaliste ou impossible ?

En l'espèce, la baisse des revenus de monsieur après sa retraite constitue un changement de circonstances permettant de réviser la pension alimentaire dans le présent dossier. Le tribunal examinera par la même occasion la question de savoir si l'obligation alimentaire de monsieur a été satisfaite en fonction des objectifs de l'ordonnance modificative en vertu de la Loi sur le divorce. Même si, initialement, l'ordonnance alimentaire prononcée par le juge Godin lors du prononcé du jugement de divorce pouvait être à la fois de nature compensatoire et en exécution de l'obligation sociale fondamentale, l'obligation alimentaire actuelle de monsieur à l'égard de madame est fondée sur son obligation sociale fondamentale compte tenu de l'invalidité de celle-ci.

Madame a été indemnisée à la suite de l'échec du mariage -- elle a reçu sa juste part dans le cadre du partage du patrimoine familial, incluant le transfert d'un montant de 90 000 $ du régime de retraite de monsieur à la Compagnie A. Monsieur lui paie une pension alimentaire depuis 15 ans et il lui a versé plus de 200 000 $ à ce titre. Par ailleurs, le juge Allard, bien qu'il exprime des doutes sur l'incapacité réelle de madame compte tenu de la preuve médicale au dossier, considère qu'il est « peine perdue » pour monsieur de s'attendre à ce que madame atteigne son indépendance financière « étant donné son absence de désir, ou peut-être aussi à cause d'un état chronique d'anxiété qui semble durer depuis le premier mariage ». Compte tenu des circonstances, le juge réduit la pension alimentaire payable à madame à 200 $ par semaine. À 62 ans, et compte tenu de son état général, il est irréaliste de penser que madame pourra retourner un jour sur le marché du travail.

La question est de savoir si l'obligation alimentaire de monsieur est perpétuelle ou sinon, jusqu'à quand monsieur devra payer des aliments. Compte tenu des circonstances particulières du dossier, il y a lieu d'imposer un terme à l'obligation alimentaire de monsieur. En effet, le mariage des parties n'est pas traditionnel. Les parties n'ont pas d'enfant ensemble et c'est monsieur qui subvient volontairement aux besoins des enfants de madame, étant donné qu'elle n'a pas réclamé ou obtenu une pension alimentaire de son époux précédent pour des raisons inconnues. Bien que madame ait été principalement à la maison pendant le mariage, monsieur encourage sa prise d'autonomie. Madame occupe quelques emplois pendant le mariage. Elle suit un programme en éducation spécialisée pendant le mariage avec le soutien de monsieur et elle obtient son diplôme. Elle ne travaille cependant jamais dans ce domaine. La durée du mariage est de 14 ans, alors que monsieur paie une pension alimentaire à madame depuis 15 ans. Il verse à madame pendant ces années plus de 200 000 $ à titre de pension alimentaire. Madame est affectée par un ensemble de problèmes psychologiques et médicaux. Elle est déprimée, abattue, anxieuse et elle manque d'énergie. Elle est manifestement inapte actuellement à reprendre tout travail. Toutefois, un rapport psychologique de 2004 indique que les problèmes de madame ne sont pas objectivés et l'expert s'interroge ouvertement à savoir si elle a pu « bénéficier d'un gain secondaire à entretenir l'état psychologique dans lequel elle dit se trouver ». Par ailleurs, en 2003, madame est apte au plan musculo-squelettique à exercer un travail à temps plein. Les problèmes de madame existaient avant son mariage avec monsieur. Ce dernier ne peut porter au plan financier l'entière responsabilité de la condition de madame sa vie durant. En 2001, le juge Godin invite madame à entreprendre des démarches sérieuses en vue d'atteindre une certaine autonomie financière et il indique que son défaut d'agir pourrait avoir des conséquences pour l'avenir.

Par ailleurs, madame n'a fait aucune démarche sérieuse pour tenter d'occuper un emploi après le divorce et ses explications pour avoir cessé de travailler dans un centre pour enfants victimes d'inceste après le divorce sont floues et peu convaincantes. Elle ne fait aucune démarche concrète visant à obtenir une rente d'invalidité de la Régie des rentes du Québec, alors que cette possibilité semble exister compte tenu de sa condition.

L'octroi d'une pension alimentaire à un époux handicapé ou invalide vise à reconnaître l'objectif de traitement équitable des conséquences économiques de l'échec du mariage. Dans le cas à l'étude, monsieur a largement contribué à l'amenuisement des conséquences économiques défavorables de l'échec du mariage pour madame pendant 15 ans.

Lorsque madame atteindra l'âge de 65 ans, elle bénéficiera de prestations gouvernementales -- une rente de la Régie des rentes du Québec et sa Pension de la sécurité de la vieillesse fédérale. Elle pourrait également avoir droit au Supplément de revenu garanti, selon ses revenus.

Une situation quelque peu similaire au présent dossier a été examinée dans Droit de la famille -- 121640. Dans cette affaire, près de 17 années s'étaient écoulées depuis le divorce et le défendeur demandait l'annulation de la pension alimentaire. Le tribunal note dans cette affaire que la demanderesse n'a jamais pu atteindre son autonomie financière en raison d'une pathologie résultant directement de l'échec de son mariage. Il souligne que les parties sont maintenant âgées de 60 ans et qu'elles bénéficieront de prestations gouvernementales à l'âge de 65 ans. En conséquence, il impose une baisse progressive du montant de la pension alimentaire, pour prendre fin deux ans après que les parties auraient atteint l'âge de 65 ans. En l'espèce, il convient d'imposer une solution similaire et de mettre un terme au versement de la pension alimentaire de madame lorsqu'elle atteindra l'âge de 65 ans, étant donné qu'elle recevra alors des prestations gouvernementales.

Il y a lieu d'ordonner le paiement d'une pension alimentaire réduite jusqu'à ce que madame atteigne l'âge de 65 ans. Cette solution est équitable pour les deux parties et permettra de pallier les conséquences économiques de l'effondrement du mariage sur madame pendant trois années additionnelles. Monsieur est à la retraite depuis l'âge de 60 ans et ses revenus ont sensiblement diminué depuis qu'il a atteint l'âge de 65 ans. Son revenu en 2001 était de 66 000 $. Il passe à 59 553,31 $ à la retraite et sa rente de la Compagnie A est réduite à 40 347,33 $ à 65 ans. Avec les rentes gouvernementales, il dispose d'un revenu de 53 980,65 $. Madame jouit de revenus de 16 431 $, sans tenir compte de la pension alimentaire. En ce qui a trait aux besoins de madame, ses conditions financières sont précaires et elle doit faire des retraits de son fonds de revenu viager pour pouvoir boucler son budget. Cependant, madame inscrit à son bilan des dettes qui sont à la charge de sa fille. Un poste de dépense important est également prévu pour le tabac, madame étant une fumeuse.

Compte tenu de l'indexation, monsieur paie à madame une pension de 238 $ par semaine. Les revenus globaux de monsieur sont en baisse de 18 % depuis 2001. Ainsi, il convient d'ordonner la réduction de la pension alimentaire payable à madame à 200 $ par semaine, à compter de la date du présent jugement, jusqu'à ce que madame atteigne l'âge de 65 ans.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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