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La Société des casinos du Québec n’est pas responsable du suicide d’un homme commis à sa sortie du Casino de Montréal

Résumé de décision : Castilloux c. Québec (Société des casinos), EYB 2015-249152 (C.S., 4 mars 2015)
La Société des casinos du Québec n’est pas responsable du suicide d’un homme commis à sa sortie du Casino de Montréal


Le défunt, un joueur pathologique, a quitté sa résidence en tenant de drôles de propos à son épouse et en apportant un sac semblant contenir une corde.
Il s'est ensuite rendu chez l'un de ses fils pour lui donner des bijoux devant être remis à ses petits-enfants. Son comportement étant anormal, le fils, inquiet, a communiqué avec le service de police. Soupçonnant que le défunt aurait pu se rendre au Casino de Montréal, l'agent de police chargé du dossier a communiqué avec le responsable de la sécurité de l'établissement. Peu de temps après que sa voiture eut été identifiée dans le stationnement de l'immeuble, le défunt a été découvert pendu à une corde attachée à la rampe d'un pont. Soutenant que les préposés de la Société des casinos du Québec (SCQ) n'ont pas pris tous les moyens à leur disposition pour le retracer et empêcher son suicide, les demandeurs, soit l'épouse du défunt et l'un de ses fils, Robert Grenier, réclament respectivement la somme de 312 286 $ et de 75 000 $ en dommages-intérêts à la société d'État. En leur qualité d'héritiers, ils revendiquent également l'octroi d'une somme de 50 000 $ chacun pour atteinte aux droits fondamentaux du défunt.

La description physique fournie par le policier au responsable de la sécurité du Casino était très générale. Elle ne contenait aucun signe distinctif. Aucune photo ne pouvant être transmise, il était difficile, voire impossible, d'identifier le défunt parmi les quelque 3 000 clients qui se trouvaient sur les lieux ce soir-là. Par conséquent, le responsable de la sécurité a eu raison de prendre une quinzaine de minutes pour tenter de trouver une photo ou toute autre information pertinente dans les banques de données du Casino pour faciliter la recherche. Cette démarche lui a d'ailleurs permis de constater que le défunt détenait une carte Privilèges qui aurait pu permettre de savoir à quel endroit précis il se trouvait dans le Casino s'il l'avait utilisée, ce qui ne fut malheureusement pas le cas. Il est facile après-coup de soutenir que le responsable de la sécurité a perdu un temps précieux en ne communiquant pas immédiatement aux agents de sécurité la description physique et vestimentaire du défunt afin de permettre son interception avant qu'il ne quitte l'établissement. Or, ce n'est que dans les jours suivant la tragédie, après le visionnement des nombreux enregistrements vidéo, que sa présence au Casino a pu être confirmée. Pendant les heures passées sur place, son comportement n'avait rien d'anormal. Il ne présentait aucun signe apparent de détresse qui aurait pu alerter les préposés. La conduite de ceux-ci doit être analysée en se replaçant dans la situation qui avait cours au moment du drame et non en examinant les faits avec le bénéfice du recul. Il n'était pas certain que le défunt se trouvait bien au Casino ni qu'il était véritablement suicidaire. La situation ne semblait pas urgente. L'appel au service de police n'a d'ailleurs pas été classé comme tel. Ni les policiers ni les membres de la famille du défunt n'ont jugé nécessaire de se rendre au Casino, malgré qu'ils eussent en leur possession une photo de celui-ci. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, il n'aurait pas été raisonnable de requérir que tous les agents de sécurité abandonnent leurs responsabilités pour se mettre à la recherche d'une personne, alors qu'il n'y avait pas la moindre certitude qu'elle se trouvait à l'intérieur de l'établissement. En outre, leur pouvoir d'intervention aurait été limité, notamment considérant le nombre de clients pouvant correspondre à la description offerte. Rien n'indique non plus qu'ils auraient pu le retenir ou l'empêcher de partir. Dans ces circonstances, sans savoir si le défunt pouvait être armé, une intervention agressive des agents de sécurité n'était pas une option raisonnable ni sécuritaire.

Au surplus, il n'y a pas lieu de reprocher au patrouilleur des stationnements d'avoir commencé ses recherches par les stationnements extérieurs plutôt que par ceux situés à l'intérieur. Peu importe à partir de quel endroit les vérifications ont été entreprises, le véhicule du défunt n'aurait vraisemblablement pas pu être retrouvé en temps utile étant donné la superficie à couvrir. Il ne s'est pas non plus avéré possible de placer des agents à toutes les sorties des stationnements afin d'intercepter l'automobile recherchée, vu les effectifs à la disposition des préposés du Casino. Il est vrai que le responsable de la sécurité aurait pu gagner du temps en demandant au patrouilleur des stationnements de faire le tour de ceux-ci avant d'entreprendre ses vérifications dans la base de données, mais, considérant les informations fragmentaires dont il bénéficiait, il n'est pas possible de conclure que cette omission constitue une faute qui engage la responsabilité de la SCQ. La possibilité qu'un client se présente au Casino, y reste quelques heures pour ensuite se suicider dans les minutes suivant son départ, ne constitue pas un événement suffisamment probable pour que des mesures de sécurité particulières soient mises en place afin de se prémunir contre un tel risque. Un seul suicide est d'ailleurs survenu en plus de 15 ans au Casino. Le geste tragique du défunt était imprévisible. Les employés du Casino ont agi comme l'auraient fait des personnes normalement prudentes et diligentes placées dans les mêmes circonstances. Ils ont déployé tous les efforts raisonnables pour tenter de localiser le défunt, mais n'y sont malheureusement pas parvenus à temps.

La prétention des demandeurs voulant que les préposés du Casino aient volontairement négligé de porter secours au défunt sachant que sa vie était en péril n'a aucun fondement. Entre le moment où le responsable de la sécurité a reçu l'appel de l'agent de police et celui où le défunt a quitté le Casino, rien n'indiquait que la situation était urgente ni que la vie d'une personne était manifestement en danger. Durant ces 29 minutes, ils n'ont pas pu venir en aide au défunt, sa présence sur les lieux n'ayant pas pu être confirmée. Du reste, les policiers eux-mêmes n'ont pas jugé que la vie d'une personne fût en danger.

Le défunt était âgé de 74 ans au moment de son décès. Son épouse avait 71 ans. Elle a été fortement ébranlée par la perte de celui avec qui elle était mariée depuis plus de 50 ans. Elle doit maintenant vivre sans le soutien moral et le réconfort qu'il lui procurait. Si le recours avait été accueilli, une indemnité de 70 000 $ lui aurait été accordée pour le préjudice moral subi.

Le fils du défunt, pour sa part, avait 45 ans lorsque la tragédie est survenue. Il avait quitté le domicile familial depuis longtemps déjà. Il était proche de son père sans que leur relation puisse être qualifiée de particulièrement intime. Il ignorait d'ailleurs que celui-ci fréquentait régulièrement le Casino et qu'il avait des problèmes de jeu. Un montant de 15 000 $ lui aurait été octroyé pour la perte de soutien moral.

Ainsi, la requête des demandeurs est rejetée, sans frais, vu les circonstances particulières du dossier et la disproportion entre les moyens financiers des parties.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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