INTRODUCTION
Les testaments olographes, ou devant témoins, sont simples et peu coûteux. Ils ne requièrent pas de formalisme et peuvent être mis en place et modifiés rapidement. Toutefois, contrairement au testament notarié, la vérification du testament est une procédure additionnelle souvent inattendue pour le liquidateur et/ou les héritiers par suite du décès du testateur. Cette vérification devant le tribunal est toutefois essentielle afin que le testament puisse avoir quelque effet juridique, notamment auprès des institutions financières et des autorités gouvernementales.
Ce processus de vérification n’est pas automatique : la Cour, par l’entremise du greffier spécial, doit vérifier non seulement que le testament respecte les règles minimales de forme et de fond prévues au Code civil du Québec, mais également qu’il s’agit bel et bien des dernières volontés du défunt lui-même et qu’elles ont été rédigées sans influence indue. Lorsqu’un doute subsiste, le greffier spécial peut refuser de vérifier le testament. Or, sur la base du dossier qui lui est présenté, quelles sont les options du greffier spécial afin de confirmer ou d’infirmer son doute ? C’est l’objet de la décision Paquet (Succession de) et Chamberland, ès qualités1 de la Cour supérieure.
I – LES FAITS
La Cour supérieure devait se pencher sur l’opportunité ou non d’accueillir la demande en vérification d’un testament, en révision d’une décision d’une greffière spéciale en vertu de l’article 74 C.p.c. Cette requête avait préalablement été rejetée par la greffière spéciale en raison de l’existence d’un doute sur les dernières volontés de la défunte.
Le demandeur, mari de la défunte, demandait initialement la vérification du testament de celle-ci en sa qualité de liquidateur de la succession. Il s’agissait d’un testament rédigé sur un formulaire préimprimé sur lequel certains legs particuliers avaient été ajoutés à la main. La signature de la défunte était accompagnée d’une signature additionnelle, soit celle du demandeur, également légataire universel. Les deux filles de la défunte, légataires à titre particulier, avaient également signé le testament postérieurement au décès.
Lors de son analyse du dossier, la greffière spéciale conclut que le testament en question ne remplit pas les conditions de validité d’un testament devant témoins puisqu’un seul témoin avait apposé sa signature, alors que le Code civil2 requiert un minimum de deux signatures apposées de façon concomitante à la signature du testateur. Elle est donc d’avis qu’il s’agit d’un testament devant témoins avec défaut de forme et refuse de le qualifier de testament olographe.
Elle analyse ensuite l’article 714 C.c.Q. afin de déterminer si le testament, bien qu’imparfait quant à sa forme, contenait « de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt ». À cet égard, étant donné que le seul témoin de ce testament en est également le légataire universel, elle estime que cela pose un doute sérieux sur le fait que les dernières volontés de la défunte y sont représentées de façon certaine et non équivoque.
Sans communiquer avec le demandeur ou demander des éléments de preuve additionnels, et malgré l’absence de quelque allégation d’influence que ce soit ou de contestation des héritiers et légataires, elle rejette la demande de vérification du testament.
Le demandeur se pourvoit en révision de cette décision en avançant que la greffière spéciale a commis une erreur, d’une part en refusant de reconnaître le testament comme un testament olographe et, d’autre part, en concluant à un doute sur les volontés de la défunte sans preuve à l’appui. Il allègue également la violation de la règle audi alteram partem, n’ayant pu faire valoir ses arguments afin de dissiper tout doute.
II – LA DÉCISION
La Cour supérieure en révision de cette décision doit déterminer si la greffière spéciale a commis une erreur : (1) en refusant de reconnaître le testament comme un testament olographe et (2) en concluant à l’existence d’un doute sur les dernières volontés de la défunte en raison de la potentielle influence de son mari.
Après révision extensive de la doctrine et de la jurisprudence sur les conditions de la validation du testament en vertu de l’article 714 C.c.Q., la juge Line Samoisette conclut que cet article est d’interprétation large et « doit permettre d’assurer le respect des dernières volontés du testateur » lorsque trois conditions sont satisfaites :
- La présence nécessaire d’un défaut de forme ;
- Le défaut de forme ne porte pas sur une condition essentielle ;
- Le caractère certain des dernières volontés du défunt (animus testandi).
Dans un tel cas, la volonté du défunt doit primer la rigueur du formalisme testamentaire.
Les deux premières conditions sont satisfaites en l’espèce et ne suscitent pas de discussion. Afin d’évaluer le caractère certain des dernières volontés de la testatrice, la Cour conclut à l’opportunité d’entendre le demandeur sur le contexte de la rédaction du testament, se basant sur son pouvoir de révision en vertu de l’article 74 C.p.c. Ce dernier permet le réexamen de la situation telle qu’elle existait au moment de la demande soumise au greffier par l’analyse d’une nouvelle preuve.
Cette nouvelle preuve a permis à la Cour de conclure que le demandeur n’a en aucun cas été impliqué dans la rédaction du testament ni n’était dans la même pièce que la défunte lors de la rédaction du document. Ce n’est que lorsqu’elle eut terminé la rédaction et signé le testament que la testatrice a requis du demandeur qu’il signe le document à titre de témoin, ce qu’il a fait.
Pour cette raison, vu l’absence d’influence du demandeur et de motif de douter du caractère incertain des dernières volontés de la défunte, la Cour conclut que la seule présence du légataire universel à titre de témoin n’invalide pas le testament olographe.
III – LE COMMENTAIRE DES AUTEURS
Il est intéressant de noter que la Cour supérieure en révision a tout de même accepté d’entendre un témoin qui n’avait fait valoir aucune observation devant la greffière spéciale. Ainsi, la Cour réitère le principe des anciens articles 42 et 44.1 C.p.c. et l’applique à l’article 74 C.p.c., confirmant que l’analyse de la preuve des circonstances entourant la rédaction du testament est admissible afin de valider, ou d’invalider, le doute relatif à l’animus testandi dans le cadre d’une demande de révision d’une décision du greffier spécial, lequel doute doit donc être appuyé sur des motifs réels et vérifiés.
Au surplus, malgré le fait que l’opportunité d’entendre la preuve circonstancielle n’ait été donnée au demandeur qu’au stade de la révision, la Cour est plutôt d’avis que celle-ci aurait dû lui être offerte dès le stade de l’analyse du dossier par la greffière spéciale. En effet, en temps utile, et avant qu’une décision soit rendue, lorsque subsistent des incertitudes qui pourraient être levées, l’opportunité devrait être donnée au demandeur de présenter ses observations le cas échéant.
On note toutefois que le fait de reconnaître la signature du légataire universel comme témoin est très surprenant.
En effet, dans la décision Jacob (Succession de)3, la greffière avait rendu la décision suivante, laquelle nous semble plus conforme avec le courant jurisprudentiel dominant et l’article 760 C.c.Q. :
[15] Dans le cas présent, le témoin au testament est la petite amie d’un des fils héritiers.
[16] Le fait qu’il n’y a qu’un seul témoin et que celui-ci soit le conjoint de l’un des héritiers laisse un doute quant à sa capacité d’apprécier la volonté du testateur puisqu’il n’est pas un témoin désintéressé.
[17] En effet, il y a bien des chances que le témoin soit en accord avec le contenu du testament. Il y a, à tout le moins, apparence de conflit.
[18] le témoin au testament de Pierre Jacob avait été une personne désintéressée à l’acte, le tribunal, suivant les enseignements de la Cour d’Appel, aurait peut-être jugé satisfaisant la signature d’un seul témoin.
CONCLUSION
La vérification d’un testament olographe ou devant témoins n’est pas automatique. Toutefois, dans la mesure où le demandeur est disposé à fournir les éléments de preuve nécessaire afin que la Cour puisse conclure au caractère certain des volontés du défunt, il est peu probable que cette vérification soit refusée, même si le document ne respecte pas parfaitement les règles de rédaction des testaments. Il est à noter que le testament doit toutefois respecter au minimum, et pour l’essentiel, les modalités de forme prévues au Code civil, notamment, par exemple, le fait de contenir la signature du défunt.
1 EYB 2017-275545 (C.S.).
2 Art. 726 C.c.Q.
32014 QCCS 1104, EYB 2014-235025.
Ce commentaire est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais.
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