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La Cour examine dans quelle mesure l'impact préjudiciable d'une longue peine d'emprisonnement sur la famille du délinquant peut constituer une circonstance atténuante dans le processus de détermination de la peine.

Résumé de décision : R. c. G.G.., EYB 2023-517101, C.A., 6 mars 2023
La Cour examine dans quelle mesure l'impact préjudiciable d'une longue peine d'emprisonnement sur la famille du délinquant peut constituer une circonstance atténuante dans le processus de détermination de la peine.

Le ministère public sollicite la permission d'appeler de la peine de 90 jours d'emprisonnement discontinu imposée à l'accusé pour des infractions de contacts sexuels. Ces infractions visent deux victimes. Il y a d'abord X, l'une des filles de l'accusé. Cette dernière était âgée de 12 et 13 ans au moment des attouchements. À une occasion, l'accusé s'est aussi livré à des attouchements sur Y, une amie de X qui était âgée de 13 ans. Le ministère public soutient que la peine imposée ne peut résister à un examen en appel. Selon lui, l'analyse de la juge de première instance est entachée d'erreurs de principe déterminantes et la peine imposée est manifestement non indiquée.

Le ministère public plaide que la juge a erré en qualifiant de circonstances atténuantes la participation de l'accusé à des évaluations psychosexuelles et psychosociales et les difficultés auxquelles ce dernier s'est heurté en raison de la maladie de trois de ses cinq enfants et des défis de son intégration sociale (l'accusé a immigré au Canada du Sri Lanka). On ne partage pas cet avis. Bien que ces éléments ne correspondent pas à la définition stricte d'une circonstance atténuante, ils peuvent néanmoins être pertinents pour l'élaboration d'une peine juste. Le fait que l'accusé ait participé à des évaluations psychosexuelles et psychosociales qu'il a par ailleurs lui-même payées malgré sa situation financière précaire reflète une volonté de réhabilitation que la juge était en droit de prendre en considération. Quant aux difficultés auxquelles l'accusé s'est heurté, il est bien établi que la vulnérabilité socio-économique et la marginalisation sociale d'un délinquant peuvent également être prises en considération au stade de la détermination de la peine.

Le ministère public soutient en outre que la juge a commis une erreur dans son analyse des conséquences dramatiques qu'une longue peine d'emprisonnement aurait probablement sur la famille de l'accusé. Selon le ministère public, l'importance particulière que la juge a accordée à ce facteur constitue une erreur de principe et conduit à une peine manifestement non indiquée. D'emblée, il est bien établi que dans des circonstances exceptionnelles et précises, les conséquences d'une longue peine d'emprisonnement sur la famille du délinquant peuvent influer sur l'analyse du juge quant au caractère approprié de la peine. Il convient également de souligner que les conséquences d'une longue peine d'emprisonnement ont été considérées comme un facteur d'atténuation de la peine dans des cas où les victimes étaient des membres de la famille du délinquant. Toutefois, et c'est un point essentiel, ces circonstances ne sauraient permettre de réduire une peine au point où celle-ci n’est plus proportionnelle à la gravité de l’infraction ou à la culpabilité morale du délinquant. Dans la présente affaire, il n'est pas contesté que l'accusé est le seul à subvenir aux besoins de sa famille. Il n'est pas contesté, non plus, qu'une longue peine d'emprisonnement aurait des conséquences dramatiques sur l'autonomie financière à court et à long terme de la victime et de sa famille, d'une part, et sur la capacité de la famille à se trouver un logement, d'autre part. En pareil contexte, la juge n'a pas commis une erreur de principe en retenant ces conséquences familiales au chapitre des circonstances atténuantes. La question essentielle est donc celle du poids que la juge a accordé à ces conséquences familiales dans son jugement.

Il convient tout d'abord de noter qu'il ressort clairement de ses motifs que la juge a pris soin d'examiner s'il existait d'autres considérations ou des considérations plus importantes justifiant une longue peine d'emprisonnement. Ensuite, la lecture de ces mêmes motifs permet de conclure que si elle avait été convaincue que les enfants de l'accusé étaient exposés à un risque d'abus sexuel (la juge a considéré les décisions prises en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse qui visaient la famille), ou que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne pouvaient être atteints que par une longue peine d'emprisonnement, la juge n'aurait pas accordé autant d'importance à l'impact d'une telle peine sur la famille de l'accusé.

Reste à savoir si la peine imposée est manifestement non indiquée en raison de l'importance que la juge a accordée aux conséquences dramatiques d'une longue peine d'emprisonnement sur la famille de l'accusé. La juge a considéré l'art. 718.01 C.cr. et la gravité des infractions. Elle a souligné avec justesse, cependant, que cette disposition n'exige pas du juge chargé de la détermination de la peine qu'il priorise les objectifs de dénonciation et de dissuasion de façon absolue ou à tout prix. Le juge conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs pour arriver à une peine juste, en conformité avec le principe fondamental de proportionnalité. La juge était tout à fait consciente, aussi, de la fourchette applicable et de la clémence apparente de la peine imposée. Toutefois, il lui était loisible de s'écarter de cette fourchette, même de manière importante, à condition, bien entendu, que la peine reste suffisamment proportionnée à la gravité des infractions et au degré de responsabilité de l'accusé. Le ministère public ne réussit pas à convaincre la Cour que la peine imposée est manifestement non indiquée. Comme le souligne la juge, cette affaire résulte d'un « ensemble exceptionnel de circonstances ». À la lumière de ce contexte exceptionnel et de tous les autres facteurs atténuants, y compris les conclusions et les recommandations de la DPJ, la juge avait la possibilité d'élaborer une peine qui, bien que privative de liberté, visait à éviter que la famille de l'accusé subisse des conséquences dramatiques et que la victime soit pénalisée encore plus. La Cour aurait certainement été d'accord avec le ministère public si la peine avait été élaborée de manière à permettre à l'accusé d'échapper à une sanction importante. Mais ce n'est pas le cas. Concrètement, l'accusé, qui travaille six jours par semaine, passera son seul jour de congé incarcéré, et ce, pour une période de près de deux ans. Par la suite, il passera trois années sous le coup d'une ordonnance de probation en vertu de laquelle il devra effectuer 100 heures de travaux communautaires.

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