Sans égard pour son genre, la partie identifiée comme « Personne désignée » (PD) était un indicateur « codé ». Après un revirement de situation, elle a été accusée puis déclarée coupable d'un crime (désigné comme le dossier X) dont elle avait elle-même révélé l'existence aux policiers. Lors de son procès, elle prétendait que l'accusation portée contre elle constituait, dans les circonstances, un abus de procédure. Elle n'a cependant pas convaincu le juge de première instance, d'où son appel. Devant cette Cour, PD plaide que la conclusion du juge de première instance est erronée. Il convient d'explorer l'entente entre un indicateur et les policiers. Plus précisément, une telle entente suppose-t-elle une promesse ou, au contraire, l'absence de promesse d'une protection contre une accusation pour les crimes avoués ?
D'emblée, on ne saurait trop insister sur l'importance du principe de la publicité des débats judiciaires. Ce principe englobe davantage que la seule exigence que la justice ne soit pas rendue secrètement. La publicité des débats est aussi importante, notamment, pour que le public soit convaincu de la probité des actions des juges. Dans la présente affaire, les parties se sont entendues pour procéder à huis clos. Pour bien marquer la nature de ce qui s'est produit, le pléonasme « huis clos complet et total » illustre encore mieux le choix des parties, avalisé par le juge de première instance. En outre, aucun numéro formel ne figure sur le jugement étoffé rendu par le juge, les témoins ont été interrogés hors de cour, les parties ont demandé au juge de trancher sur la base des transcriptions dans le cadre d'une audition secrète, et le jugement rendu a été gardé secret. En somme, aucune trace de ce procès n'existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués. Quant à elle, la requête pour proroger le délai d'appel a été accueillie, encore une fois, sous le sceau du huis clos complet, et la question de la levée du huis clos a été déférée « à la formation qui entendra l'appel ». Un dossier d'appel a été ouvert de façon parallèle à la procédure habituelle, et l'audition s'est déroulée dans le secret absolu. Après examen du dossier, cette façon extraordinaire de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice. Un dossier au greffe de la Cour sera donc ouvert, sujet à une ordonnance de le garder sous scellés. Si certains renseignements divulgués dans des procès doivent être protégés, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels non seulement des accusés, mais également des médias. Une telle procédure est également incompatible avec les valeurs d'une démocratie libérale. Le pouvoir d'imposer des limites à la publicité des débats judiciaires afin de servir d'autres intérêts publics est reconnu, mais il doit être exercé avec modération et en veillant toujours à maintenir la forte présomption selon laquelle la justice doit être rendue au vu et au su du public. S'il est vrai que le privilège de l'informateur doit être absolument protégé, sauf si l'innocence d'un accusé est manifestement en jeu, le procès lui-même doit être public, sujet à des ordonnances spécifiques de non-publication ou de huis clos partiel. Par conséquent, les présents motifs sont rédigés pour être publics, sous réserve d'un caviardage, puisque l'affaire met en cause des principes importants concernant le traitement des informateurs par les policiers.
Le recours aux informateurs est répandu, mais il confère un statut exceptionnel. L'informateur entretient une relation particulière avec les autorités. Cette relation et l'entente qui la sous-tend doivent être exemptes d'ambiguïtés. Des ententes approximatives ne peuvent que décourager les personnes de collaborer. L'importance du privilège relatif aux indicateurs de police se traduit par la protection absolue de l'identité de ces derniers. Il s'agit d'une règle adoptée afin d'atteindre deux objectifs interreliés, soit de protéger la sécurité de la source et d'encourager d'autres personnes à communiquer des informations aux autorités. L'utilisation d'indicateurs est un compromis accepté pour assurer l'efficacité des enquêtes criminelles et l'arrestation des délinquants. Un compromis, car l'informateur n'a pas toujours les mains propres. Il n'est pas rare qu'un informateur soit une personne impliquée dans le milieu criminel et connue des policiers, d'où la sensibilité des ententes avec ces personnes. Un informateur peut contrevenir à la loi, à l'éthique ou la morale en divulguant des informations à la police. Cela n'affecte pas le privilège de l'informateur.
Le statut d'indicateur peut naître d'une promesse expresse ou implicite. La conduite des policiers peut donc faire en sorte qu'une personne se trouvant dans la situation de l'indicateur potentiel a des motifs raisonnables de croire qu'elle sera protégée ou que le statut d'indicateur lui sera effectivement reconnu. Partant, l'accord des volontés des parties à l'entente repose sur la compréhension raisonnable des obligations de chacune. La jurisprudence récente examine surtout le privilège de l'indicateur sous l'angle de la protection de l'identité. Il serait cependant contre-productif pour le système de justice d'accepter que des policiers puissent proposer des ententes imprécises, passées sans trop de formalités, pour ensuite les répudier en raison de ce qu'eux seuls comprenaient de l'entente initiale et sans égard pour ce que leurs vis-à-vis pouvaient légitimement et raisonnablement en comprendre. Une obligation de renseignement incombe à l'État lorsque vient le temps de passer un accord avec un indicateur, et les ambiguïtés peuvent bénéficier à ce dernier.
Dans la présente affaire, le juge de première instance n'analyse pas la preuve en fonction de l'obligation de renseignement qui incombe à l'État; il s'arrête, à tort, sur l'absence de promesse formelle d'immunité de poursuite à l'égard de crimes passés. Strictement, sur cet aspect, le juge a raison. En effet, le droit ne confère pas d'emblée l'immunité de poursuite à un informateur à l'égard d'infractions criminelles commises, d'où l'importance pour les policiers d'informer pleinement leur recrue des enjeux relatifs à cette immunité. Cela dit, le juge devait se pencher sur les informations réellement transmises à PD quant aux paramètres de sa collaboration. Ces paramètres ont été sommairement expliqués à PD, jamais négociés, et les explications étaient malheureusement fort ambiguës. PD ne pouvait pas raisonnablement comprendre qu'elle serait accusée du dossier X si elle le dévoilait aux policiers. Au contraire, PD pouvait raisonnablement comprendre qu'elle pouvait parler librement et en toute confiance sans avoir peur d'être accusée. Sa lecture de la situation était qu'elle devait dire la vérité, que l'enquête ne s'intéressait pas à elle, et que tout ce qu'elle dirait ne pourrait être retenu contre elle. Et le comportement des policiers était compatible avec cette lecture. Ces derniers ont même laissé PD s'incriminer sans rien dire et sans la prévenir du retrait de son statut d'informateur. Certes, il n'est pas toujours possible ni pratique de négocier de façon exhaustive les termes d'un contrat de collaboration. Les méthodes d'approche des sources et la conclusion des ententes, comme pour les méthodes d'enquête en général, peuvent nécessiter une approche moins formaliste, flexible, et doivent être laissées à la discrétion de l'État, et plus particulièrement des policiers. Toutefois, comme toute méthode d'enquête, il y a des pratiques meilleures que d'autres. L'une d'elles est certainement de s'assurer de conclure une entente avec le candidat « indicateur » en transmettant toute l'information requise et en conservant des notes détaillées de cette entente.
Le fait de porter des accusations dans les circonstances est manifestement choquant. L'équité du procès était certainement compromise par les limites imposées au droit à une défense pleine et entière. Cela dit, une telle conduite étatique risque de miner l'intégrité du processus judiciaire. Un arrêt des procédures s'impose.