Les juges St-Pierre, Vézina et Gagnon. L'appelante demandait à se faire reconnaître un droit de propriété et un droit de pêche exclusif sur une partie du lac Papineau (le mi-lac). Elle sollicitait également une injonction permanente afin d'empêcher toute personne de s'y trouver sans son autorisation. Elle appelle du jugement de première instance (rendu par le juge Peacock) qui a rejeté l'ensemble de ses demandes. Elle fait valoir trois moyens.
Dans un premier temps, l'appelante avance que le juge Peacock aurait eu tort d'écarter l'effet de la chose jugée se rattachant à un jugement de la Cour supérieure rendu en 1938 (le jugement Surveyer). Ce jugement statuait sur la propriété du mi-lac, mais ne mettait pas en cause le procureur général du Québec (le PGQ). Ce dernier n'a pas eu connaissance du jugement Surveyer avant octobre 2002, lorsque les intimés lui ont fait parvenir un avis en vertu de l'article 96 C.p.c. Il n'est pas exact de dire que le PGQ en aurait eu connaissance plus tôt, même si le jugement avait été signifié à la Société de la Faune et des Parcs du Québec (la Société) en 2001 et qu'il avait été publié au registre foncier en janvier 2002. La Société n'est pas chargée de l'application de la Loi sur le régime des eauxD'autre part, la présomption de connaissance découlant d'une publication au registre foncier ne s'applique pas au PGQ, puisque celui-ci n'a pas acquis ou publié de droit sur le bien concerné en 2002. Le PGQ est intervenu au présent dossier au début 2003. Il a alors fait valoir sa position. Le juge Peacock a retenu que le PGQ devait procéder par voie de tierce opposition pour remettre en question le jugement Surveyer. C'est ce que le PGQ a formellement fait en 2012, en amendant sa requête en intervention. Même si un délai anormalement long s'est écoulé entre 2003 et 2012, le juge a eu raison de permettre la tierce opposition et de rétracter le jugement Surveyer. Voyons pourquoi. D'entrée de jeu, les procureurs du PGQ croyaient de bonne foi que leur intervention initiale se qualifiait à titre de tierce opposition. Qui plus est, personne n'a été pris par surprise par l'amendement de 2012. Puisque le débat met en cause l'intérêt public, il faut mettre l'accent sur les principes énoncés aux articles 2 et 5 C.p.c. En outre, compte tenu de la jurisprudence, le simple passage du temps n'est pas automatiquement concluant. Du reste, le juge Peacock a exercé sa discrétion. Il pouvait décider de tolérer le long délai, dans la mesure où il tenait compte de l'ensemble des circonstances. Rien n'indique qu'il aurait commis une erreur manifeste et dominante ou que son évaluation était déraisonnable ou arbitraire.
Dans un deuxième temps, l'appelante invoque la théorie de l'expectative légitime. Elle soutient que le PGQ aurait reconnu son droit de propriété sur le mi-lac, compte tenu des actes qui auraient été posés par la Couronne au fil des ans. Par conséquent, elle avance que le juge Peacock aurait dû opposer une fin de non-recevoir à la tierce opposition du PGQ. Elle a tort. Le juge Peacock s'est bien dirigé à ce sujet. En vertu de laLoi sur le régime des eaux le domaine hydrique de l'État ne peut être aliéné que par l'autorité compétente, et ce, de façon expresse et non équivoque. L'État ne peut renoncer implicitement aux biens du domaine public. Dans les faits, les actes de l'État auxquels l'appelante fait allusion n'ont jamais émané de l'autorité qui avait compétence sur le domaine hydrique au moment pertinent. En outre, bien que la conduite d'une partie puisse servir à interpréter un écrit, elle ne peut impliquer la translation d'un droit de propriété que l'écrit ne prévoit pas. Même si, comme le souligne l'appelante, des tiers ont agi de bonne foi en se fondant sur le jugement Surveyer, cela n'est pas de nature à démontrer l'existence d'un titre de propriété. De toute manière, le PGQ s'est engagé à respecter les droits des tiers de bonne foi. La Cour prend acte de cet engagement.
Le juge Peacock s'est prononcé sur la propriété du mi-lac en considérant la chaîne de titres. Il est remonté jusqu'à l'acte de concession de 1674. Il est admis que le mi-lac est navigable et flottable. Le soussigné est d'accord avec le juge de première instance au sujet des principes qui s'appliquent. Les articles 919 et 920 C.c.Q. reprennent le droit qui existait au moment de la concession en énonçant que le lit des rivières et des lacs navigables est la propriété de l'État. Bien qu'il soit possible pour l'État d'aliéner des biens du domaine public, il faut savoir qu'il existe une présomption de non-concession des biens publics. Partant, la concession de tels biens ne peut être implicite. Elle doit être expresse. Le juge Peacock n'a pas commis d'erreur révisable en concluant que l'acte de 1674 ne comportait pas une concession expresse de la propriété du mi-lac. Voici le passage pertinent de l'acte: «Nous [...] donnons et concédons par ces présentes au dit Seigneur Evesque la dite étendue de terre de cinq lieues de face sur cinq lieues de profondeur, à prendre depuis le Sault de la Chaudière, vulgairement appelé la Petite-Nation […] pour par le dit Seigneur Evesque et ses ayans causes jouir à perpétuité de la dite terre en toute propriété, Seigneurie et Justice, comme aussi des Lacs et Rivières, Mines Minières qui s'y pourront trouver et même de toute la largeur de l'étendue du dit Fleuve et encore des Ratures, Isles et Islets dans l'espace des dites cinq lieues de face de la dite concession, avec Droit de Pesche et de Chasse dans toute l'étendue d'icelle […]». L'acte n'était translatif de propriété qu'à l'égard de ce qui était visé par les termes «en toute propriété», soit l'étendue de terre. Compte tenu de la présomption de non-concession, le soussigné est d'avis que les termes «comme aussi des lacs et rivières» ne se rapportent qu'à la mention «pour jouir de». Il n'y a donc pas de concession expresse de la propriété des lacs et des rivières. Cette interprétation met en échec l'argument de l'appelante sur l'inutilité d'une stipulation qui aurait eu comme objet la concession de lacs et rivières non navigables. Dans un autre ordre d'idées, l'appelante se méprend lorsqu'elle affirme que le juge Peacock aurait exigé que le lac soit nommé à l'acte. Le juge s'est contenté d'indiquer qu'un lac navigable (comme le mi-lac) ne peut être concédé expressément que si l'acte en traite spécifiquement. On doit retrouver un «indice d'individualisation». Quoi qu'il en soit, puisque la propriété du lac n'a pas été transmise, l'appelante ne dispose pas du droit de pêche exclusif qui est accessoire à ce droit de propriété. Il est à noter que le droit de pêche aurait pu être transmis isolément, si l'acte avait comporté une stipulation expresse à cet effet.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté.
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