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L’intention du testateur était que l’expression « ma femme » utilisée dans le testament vise sa conjointe de fait

Résumé de décision : Succession de Bergeron c. Gosselin, EYB 2017-286746 (C.S., 8 novembre 2017)
L’intention du testateur était que l’expression « ma femme » utilisée dans le testament vise sa conjointe de fait

France Duquette vit en union de fait avec Jacques Bergeron. Trois enfants naissent de leur union qui prend fin en juillet 2011. À compter de l'été 2012, Jacques Bergeron et Sophie Gosselin forment un couple. Ils habitent la maison construite en 2002 par le couple Bergeron-Duquette dont seul Bergeron est le propriétaire. Le 28 mars 2015, Jacques Bergeron décède à l'âge de 45 ans. Duquette, en sa qualité de liquidatrice à la succession de Jacques Bergeron, réclame à Gosselin 62 345,27 $ représentant les honoraires d'avocat (5 144,28 $) engagés pour l'obtention d'une injonction provisoire, les frais de nettoyage de la résidence (1 177,20 $) ainsi que la moitié du solde d'une marge de crédit contractée par Bergeron et Duquette (56 023,79 $) qu'elle aurait entièrement acquittée à la suite de la vente de la maison en septembre 2016. D'abord, Gosselin nie devoir quoi que ce soit et requiert que Duquette soit condamnée à lui verser 85 000 $ représentant les frais de défense (10 000 $) à la poursuite dirigée contre elle, la perte de revenus (15 000 $) ainsi que 60 000 $ pour les troubles, ennuis et inconvénients qui résulteraient de l'intransigeance de Duquette dans l'exercice de sa fonction de liquidatrice. Aussi, elle avance que Duquette, dès le départ, n'avait point l'objectivité nécessaire pour exercer une telle fonction vu les relations plus que tendues entre elles. Enfin, elle prétend que Duquette n'aurait pas dû accepter la fonction compte tenu de sa situation de conflit d'intérêts étant donné sa demande judiciaire contre Bergeron pour enrichissement injustifié. Dans une procédure distincte, Gosselin requiert la destitution de Duquette à titre de liquidatrice. Aussi, elle demande à être déclarée héritière aux termes du dernier testament de Bergeron, au même titre que les trois enfants du défunt puisqu'elle serait visée par une clause du testament. Notons que Duquette a accepté en cours d'instruction d'être remplacée par Me Marcheterre, de sorte que la question de la destitution n'est plus en litige.

Au moment où Duquette prend possession de la maison au début avril 2016, celle-ci est dans un état qui nécessite non seulement un ménage, mais aussi d'importants travaux de nettoyage puisque des excréments d'animaux se trouvent sur les planchers. Le tribunal ne doute pas que le décès tragique de Bergeron ait sévèrement affecté Gosselin. Cependant, lorsqu'elle quitte la résidence en avril 2016, plus d'un an s'est passé depuis le décès. D'ailleurs, elle a repris son travail depuis plusieurs mois, vaque à ses obligations quotidiennes. Or, aucun rapport médical n'est produit à l'appui de ses prétentions et elle ne fait plus l'objet d'un suivi psychologique à ce moment. Aussi, elle s'engage volontairement auprès du tribunal le 24 mars 2016 à quitter les lieux au plus tard le 3 avril 2016. Vu les circonstances, la succession est en droit d'exiger de Gosselin une contribution de 500 $ qui servira à indemniser Duquette, sa mère et sa soeur pour le travail de nettoyage effectué.

Par ailleurs, le tribunal ordonnera à Gosselin de rembourser les frais d'avocat de 5 144,28 $ engagés en raison de son refus injustifié et obstiné de permettre à Duquette l'accès à la maison et aux biens meubles de Bergeron pour procéder à l'inventaire et enfin de quitter les lieux qu'elle occupe sans droit et sans frais depuis près d'un an. Forcer une partie à prendre un recours judiciaire et engager des frais pour obtenir quelque chose dont elle a clairement le droit, sans présenter quelque motif ou argument à l'encontre de la demande, constitue un comportement abusif allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi comme le prescrivent les articles 6 et 7 C.c.Q. Aussi, un tel comportement déroge à la norme de conduite de la personne prudente, diligente et raisonnable édictée à l'article 1457 C.c.Q.

Penchons-nous maintenant sur la réclamation relative à la marge de crédit. En avril 2013, Banque Manuvie (Manuvie) consent à Bergeron et Gosselin une marge de crédit de 149 200 $. Cette marge sert notamment à rembourser le solde d'un prêt hypothécaire de 58 050 $ contracté par Duquette et Bergeron auprès de la Banque Nationale du Canada pour la construction de la résidence en 2002. Aussi, elle sera dès son ouverture utilisée pour financer l'acquisition d'un véhicule automobile de marque Toyota Venza d'un montant de 19 689 $, pour acquitter les frais de déménagement de Gosselin du Nouveau-Brunswick au Québec ainsi que pour ses besoins, ceux de Bergeron et de leurs enfants respectifs. Le 12 septembre 2016, la vente de la résidence est finalisée, la marge de crédit remboursée et l'hypothèque radiée. Duquette exige que Gosselin rembourse à la succession 56 023,79 $ représentant la moitié du solde de la marge de crédit, soit sa part dans la dette. Gosselin soutient qu'elle ne doit rien à la succession puisqu'il était, semble-t-il, entendu entre elle et Bergeron qu'ultimement ce dernier serait seul à supporter les obligations souscrites auprès de Manuvie. À titre subsidiaire, elle invoque l'article 1537 C.c.Q. et fait valoir que le tribunal devrait partager inégalement la dette et faire supporter à la succession la très grande majorité des fonds utilisés puisqu'ils ne l'auraient été que pour le bénéfice personnel. La convention de marge de crédit (l'entente d'utilisation et ses modifications ainsi que les dispositions générales du compte Manuvie Un) établit qu'il s'agit d'un compte conjoint, tant Bergeron que Gosselin sont en droit d'utiliser le crédit mis à leur disposition sans même obtenir préalablement le consentement de l'autre. Cela dit, existe-t-il une convention ou une entente entre Bergeron et Gosselin selon laquelle seul Bergeron est responsable du crédit utilisé ? En d'autres mots, Gosselin peut-elle exiger que la succession prenne à sa charge l'entière responsabilité financière de la marge de crédit ? Le tribunal ne le croit pas. La convention de marge de crédit ne contient pas une telle mention. Aussi, les parties n'ont produit aucun document ou même une simple lettre ou bien un bout de papier sur le ou lesquels on y constaterait un tel engagement de Bergeron. Gosselin avance que cet engagement est clairement exprimé à la clause 5 « Engagements de l'emprunteur » de l'acte hypothécaire lié à la marge de crédit. Cette clause est ainsi libellée : « 5 Engagements de l'emprunteur. 5.1 Tant que l'un ou l'autre des Obligations est en cours et demeure impayé, l'Emprunteur prend les engagements énumérés ci-après : 5.1.1 l'Emprunteur paiera ou fera en sorte que soient payés intégralement et à bonne date le capital, la prime, s'il en est, et l'intérêt à devoir en regard des Obligations aux dates et à l'endroit et selon les montants et les modalités prévus à leur égard aux présentes ou dans les dispositions contenues dans ces Obligations; ». Gosselin ajoute que puisque l'engagement de payer ou de faire en sorte que soient payées intégralement les sommes prêtées indiquées à la clause 5.1.1 ne vise que l'« emprunteur », soit Bergeron, et non le « Co-Emprunteur Non-propriétaire », en l'occurrence elle-même, elle n'encourrait aucune responsabilité étant donné que seul Bergeron était obligé. Cet argument est farfelu et fait totalement abstraction de la nature des engagements souscrits par les parties aux termes des documents P-14, P-16 et P-16A. Bergeron et Gosselin sont des débiteurs solidaires. Manuvie peut s'adresser à l'un et/ou à l'autre pour obtenir le remboursement total du crédit accordé. L'acte hypothécaire est l'accessoire à la convention de prêt. Les obligations contractées à cet acte sont d'abord au bénéfice de Manuvie et non celui de Gosselin. La clause 5.1.1 prescrit que tant que l'une ou l'autre des obligations est en cours et demeure impayée, l'emprunteur doit notamment intégralement rembourser les avances consenties sur la marge de crédit au risque de voir le créancier exercer ses recours hypothécaires sur sa résidence. La clause 3.2 du même acte précise : « 3.2 Personnes responsables. Vous nous accordez cette hypothèque pour garantir, entre autres, les obligations présentes et futures des personnes suivantes envers nous incluant, sans limitation, aux termes de l'Entente d'utilisation, savoir : JACQUES BERGERON - SOPHIE GOSSELIN ». L'ensemble des documents de prêt forme un tout cohérent. Souscrire à l'argument de Gosselin que seule la succession est responsable du solde de la marge de crédit contredirait ceux-ci et priverait Manuvie de tout recours à l'égard de Gosselin, ce qui serait un non-sens. Aussi, il n'apparaît aucunement de cette clause 5.1.1 quelque entente que ce soit entre Gosselin et Bergeron en lien avec un engagement de ce dernier à prendre à son compte l'entièreté de la dette ni une quelconque renonciation de sa part à réclamer à Gosselin sa participation financière dans celle-ci aux termes des règles portant sur l'obligation solidaire.

Quant à l'article 1537 C.c.Q., la preuve démontre de manière prépondérante que Bergeron et Gosselin ont des intérêts inégaux dans la dette. Il faut donc en tenir compte dans le partage de celle-ci. Selon un calcul du tribunal, des montants totalisant 56 769,93 $ doivent être assumés entièrement par la succession et Gosselin devra supporter seule le paiement de l'automobile Toyota. La dette, une fois soustraites les sommes dont la responsabilité incombe à Gosselin (17 853,98 $) et à Bergeron (56 769,93 $), se chiffre à 37 423,67 $. Vu l'impossibilité d'établir duquel des deux elle relève spécifiquement, le tribunal est forcé de conclure qu'elle devra être prise en charge en parts égales par la succession et Gosselin. Le tribunal ordonnera à Gosselin de verser 36 565,82 $ à la succession.

Gosselin avance que l'acceptation par Duquette de la charge de liquidatrice, alors que cela la plaçait en conflit d'intérêts puisqu'elle avait déjà entrepris un recours pour enrichissement injustifié contre Bergeron, est l'élément déclencheur d'une saga de procédures judiciaires vu son manque d'objectivité et de modération en raison de la situation tendue qui prévalait entre elles. Selon elle, si tel n'avait pas été le cas, le règlement de la succession se serait déroulé autrement, calmement et sans la nécessité de recourir aux services d'un avocat. D'abord, comme mentionné lors de l'instruction, le tribunal ne voit aucune mauvaise foi, abus ou même un début de comportement déviant de la part de Duquette alors qu'elle exerce la charge de liquidatrice. Il est à noter que cette dernière accepte cette charge par suite de la recommandation de Me Marcheterre, notaire. Elle agit suivant les suggestions du notaire conformément aux prescriptions de la loi et de façon non précipitée. Il est utile de mentionner qu'à la suite du décès le 28 mars 2015, tant Gosselin que Duquette demandent conseil auprès de Me Marcheterre. Vu l'existence d'un autre testament que celui produit sous P-4, soit un testament préparé par Bergeron à l'époque où il était militaire, Me Marcheterre suspend les démarches de règlement de la succession jusqu'en octobre 2015 (six mois) et concluant que le testament P-4 est le dernier produit, elle réactive le dossier. Le testament est vérifié le 18 novembre 2015, ensuite la liquidatrice nommée le 18 décembre suivant. Suivra l'offre d'achat de la maison adressée à Gosselin et les demandes de disponibilités pour la prise d'inventaire en mars 2016. Depuis le décès, Gosselin demeure dans la maison, sans acquitter les taxes municipales et scolaires, les coûts d'assurance ni même contribuer en partie aux versements hypothécaires. La preuve établit que jusque-là, Duquette n'a d'aucune façon précipité les choses, n'ayant toujours pas entrepris de démarches significatives pour procéder à l'inventaire des biens ni requis le départ de Gosselin de la résidence. Elle ne l'a d'ailleurs jamais directement contactée ni même s'est rendue à la résidence de Bergeron pour la rencontrer. Il est difficile de faire un quelconque reproche à Duquette pour la période qui suit immédiatement le décès jusqu'au début du mois de mars 2016. Outre l'altercation qu'elles ont en mars 2016, moment où Duquette tente de procéder à l'inventaire, et au cours de laquelle, selon la preuve administrée, ni l'une ni l'autre n'ont eu un comportement répréhensible, le tribunal n'est favorisé d'aucune preuve établissant un comportement disgracieux ou déplacé de la part de Duquette à l'endroit de Gosselin. Que la communication entre les parties soit difficile, laborieuse, voire impossible, cela n'a pas dans les circonstances eu d'impact significatif puisque les parties ont échangé par l'entremise de Me Marcheterre. Les procédures en injonction intentées sont la conséquence du refus injustifié de Gosselin d'autoriser la prise de l'inventaire des biens et de quitter la maison qu'elle occupe sans droit depuis plus d'un an. De surcroît, les demandes de Duquette ont, dans la très grande majorité, été accordées par un tribunal. Quant à savoir si Gosselin se qualifiait ou non d'héritière aux termes du testament, comme il en sera discuté ci-après, force est de constater que les arguments développés par Duquette étaient loin d'être futiles ou dilatoires. Aussi, rappelons que Me Marcheterre a conclu à l'absence de droit de Gosselin dans le testament étant donné qu'elle n'était pas mariée à Bergeron. Bref, le tribunal ne voit aucune faute de Duquette dans l'exercice de ses fonctions de liquidatrice. La réclamation de Gosselin en remboursement de ses frais de défense sera rejetée.

Gosselin réclame 60 000 $ pour les troubles, ennuis et inconvénients qui résulteraient d'un comportement fautif de Duquette. Le tribunal ne voit aucun manquement ou comportement de la part de Duquette qui déroge à la norme de conduite d'une personne prudente, diligente et raisonnable. Aussi, les troubles, ennuis et inconvénients dont témoigne Gosselin ne sont qu'une suite directe et immédiate du décès de Bergeron. Aussi, le simple fait d'être impliqué dans des procédures judiciaires emporte son lot de tracas, de stress et de distraction qui produit un effet directement sur le bonheur et la santé des protagonistes. On ne peut pour autant requérir de l'autre partie une indemnisation pécuniaire pour compenser cet état d'inconfort. La réclamation est donc rejetée.

Pour des motifs déjà énoncés, le tribunal rejettera également la réclamation de 15 000 $ pour perte de revenus.

Gosselin est-elle une héritière de Bergeron aux termes du testament P-4 ? Notons que le tribunal a rejeté à cet égard une objection basée sur le ouï-dire et a admis en preuve toutes les déclarations de Bergeron en lien avec son testament et rapportées par les témoins présentés et Gosselin. Le testament P-4 a fait l'objet d'une vérification par Me Kim Marcheterre, notaire. Il ne porte pas de date, tient sur une seule page et est écrit entièrement de la main de Bergeron. La clause litigieuse est ainsi rédigée : «  Mes dernière volonté en cas de Décè (sic) […] J'aimerais que tous mes biens soit a mes enfants et à ma femme seulement auto, propriééter, et tout ce que je possède a mon décè. (sic) […] ». Dès 2013, lorsqu'il contracte une marge de crédit conjointement avec Gosselin, Bergeron est sensibilisé au fait qu'il doit refaire un testament s'il veut protéger Gosselin puisque celle-ci s'engage financièrement dans une dette dont la grande partie est liée à la résidence alors qu'elle ne détient aucun droit de propriété dans celle-ci. Aussi, n'eussent été les coûts qu'impliquait la préparation de testaments pour Bergeron et Gosselin, il y a fort à parier que Bergeron aurait fait chez son notaire un autre testament conforme à son nouvel état civil. Or, la preuve démontre que la solution retenue par Bergeron pour protéger Gosselin est le maintien de son testament rédigé en 2010, en interprétant dorénavant les termes « ma femme » comme visant Gosselin au lieu de Duquette. Le tribunal précise que le témoignage rendu par Jean Rancourt, l'employeur de Bergeron de 2013 jusqu'au décès, lequel est précis, sincère, pondéré et empreint de modération et de détachement, est capital à cet égard. Ce témoignage va dans le même sens que les propos tenus par Gosselin selon lesquels Bergeron, face à ses inquiétudes reliées au volet financier, lui a mentionné « que tout est en ordre, les papiers sont faits, tu es protégée ». Cette déclaration rejoint également le témoignage de Jimmy Couture, ami de Bergeron. Il rapporte une discussion avec celui-ci à l'été 2014 lors de laquelle Bergeron lui mentionne qu'advenant son décès, ses biens iront à ses enfants et à sa femme. Étant au courant de sa rupture d'avec Duquette, Couture lui souligne : « que le terme femme est imprécis et risque de lui causer des problèmes ». Bergeron lui répond : « non car tout le monde sait bien que Sophie [en parlant de Gosselin] est ma femme ». Il est vrai que l'intention du testateur doit être recherchée au moment où le testament est signé, en l'occurrence à l'été 2010. Toutefois, les éléments de preuve extrinsèques aux fins de déterminer la véritable intention de Bergeron démontrent qu'au moment de son décès, le testament rédigé en 2010 est celui qu'il considère comme étant ses dernières volontés et les mots « ma femme» qui s'y trouvent ne se réfèrent à nulle autre que Gosselin.


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