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Pour avoir fomenté volontairement la haine contre les femmes, le blogueur Jean-Claude Rochefort est condamné à un an de prison.

Résumé de décision : R. c. Rochefort, EYB 2023-509234, C.S., 27 janvier 2023
Pour avoir fomenté volontairement la haine contre les femmes, le blogueur Jean-Claude Rochefort est condamné à un an de prison.

À l'approche des commémorations soulignant les 30 ans de la tuerie de Polytechnique, l'accusé, qui est l'auteur de blogues accessibles au public sur Internet, a publié des textes et des images fomentant volontairement la haine contre les femmes. Dans ses publications, l'accusé fait la glorification de Marc Lépine, banalise la tuerie de Polytechnique, insulte les 14 victimes de cette tuerie et affirme que des milliers d'hommes ont retrouvé leur dignité après celle-ci. L'accusé associe en outre les femmes et les féministes à des sauvages et les présente comme étant violentes (et diaboliques) et à la tête d'un complot. Il les présente aussi comme une menace pour les hommes, comme l'ennemi et comme la source des problèmes actuels dans la société. Il suggère même que la profession de « trucideur » de féministes devrait exister, et montre des images d'armes. Les publications instiguent et suscitent des émotions intenses et extrêmes qui sont clairement associées à la calomnie et à la détestation (on peut voir, entre autres, des images de corps de femmes décapités et démembrés baignant dans le sang). Il s'agit plus que de simples encouragements. Elles impliquent que les femmes doivent être méprisées, dédaignées, maltraitées et vilipendées. Le temps est venu de déterminer la peine qui doit être imposée à l'accusé. Le ministère public réclame une peine d'emprisonnement de 12 mois. L'avocat de la défense propose, lui, une peine d'emprisonnement avec sursis de 8 ou 9 mois, tout en reconnaissant que la durée de celle-ci pourrait aller jusqu'à 12 mois.

L'infraction commise est passible d'un emprisonnement maximal de deux ans. On peut être étonné de cette peine maximale puisque cette infraction comporte tous les ingrédients qui en font un crime grave et des plus pernicieux. Un crime qui s'attaque aux fondements mêmes de notre vie démocratique. On ne peut toutefois mettre de côté cette volonté du législateur d'imposer une peine maximale relativement peu élevée (point de repère pour établir la gravité objective de l'infraction).

La responsabilité de l'accusé est entière. Ce dernier est l'auteur de l'ensemble des publications, violentes, disons-le, et il a agi seul. Ses gestes étaient prémédités et réfléchis. Et l'utilisation d'Internet et la publication de textes en français et en anglais permettaient de rejoindre le plus de lecteurs possible, dont des « incels » (de « jeunes hommes frustrés de moins de 25 ans qui ont de la misère avec les filles », selon la définition de l'accusé). Enfin, on ne peut ignorer que l'infraction était motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur le sexe. Cela dit, on ne peut punir l'accusé pour ses croyances ou ses convictions et rien dans le présent jugement ne doit être interprété en ce sens.

Par ailleurs, l'accusé est âgé de 74 ans, il a des problèmes de santé, il a respecté ses conditions de mise en liberté et il a collaboré à la confection du rapport présentenciel.

Étant donné la nature et la gravité de l'infraction, le profil de l'accusé, qui ne voit pas le caractère criminel de ses gestes, et les objectifs et principes de détermination de la peine, une peine d'emprisonnement de 12 mois est appropriée. Et cette peine ne pourra pas être purgée dans la collectivité. Le rapport présentenciel indique bien que les facteurs qui ont mené au passage à l'acte sont toujours présents. L'accusé n'a fait aucune remise en question ni aucune introspection. Il affirme même ne plus avoir rien à perdre. À l'instar de l'auteure du rapport présentenciel, force est de conclure que les risques de récidive sont non négligeables. D'ailleurs, l'accusé affirme qu'une peine coercitive pourrait l'indigner au point de faire de la justice pénale son prochain sujet de prédilection à dénoncer. Si l'on ajoute à cela les antécédents judiciaires de l'accusé (bris de conditions et possession non autorisée d'une arme à feu), on ne peut être convaincu que l'emprisonnement avec sursis ne mettrait pas en danger la sécurité de la collectivité. On ne peut être convaincu non plus que l'emprisonnement avec sursis serait conforme aux objectifs et principes de détermination de la peine, dont les objectifs de dénonciation et de dissuasion, tant générale que spécifique, lesquels ont ici une importance.

L'accusé est donc condamné à une peine d'emprisonnement de 12 mois (moins 15 jours de détention préventive). Une ordonnance de probation d'une durée de trois ans, une ordonnance d'interdiction de possession d'armes et une ordonnance de confiscation et de destruction des biens infractionnels sont également prononcées. Compte tenu de sa situation financière, l'accusé est cependant dispensé du paiement de la suramende compensatoire.

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