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Richard Henry Bain : pas de libération avant 20 ans pour les crimes commis le soir de l’élection du 4 septembre 2012

Résumé de décision : R. v. Bain, EYB 2016-273225 (C.S., 18 novembre 2016)
Richard Henry Bain : pas de libération avant 20 ans pour les crimes commis le soir de l’élection du 4 septembre 2012

Dans une démocratie, le droit de vote est l'un des droits les plus fondamentaux et les plus précieux. Le 4 septembre 2012, les électeurs québécois avaient parlé. Le Parti Québécois, dirigé par Mme Pauline Marois, la première femme à être élue première ministre du Québec, allait former le gouvernement. Dans une démonstration inhabituelle de violence meurtrière et de haine envers ceux qu'il décrit comme des séparatistes, l'accusé, M. Richard Henry Bain, a essayé de changer les résultats de l'élection et le cours de l'histoire en tentant de s'introduire dans les locaux où le Parti Québécois tenait son rallye de victoire. Un père est mort, et beaucoup de gens ont été blessés physiquement et psychologiquement. Plusieurs souffriront de séquelles multiples pour le reste de leur vie. Une partie de notre innocence a été perdue. La violence politique était parmi nous. C'est seulement la triste ironie du sort qui a fait en sorte que l'arme à feu de l'accusé est restée coincée. Si ce dernier avait pu mener à bien son plan meurtrier, les victimes seraient comptées par douzaine. Poursuivi pour un meurtre au premier degré et trois tentatives de meurtre, l'accusé a présenté une défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Un jury l'a déclaré coupable d'un meurtre au deuxième degré et de trois tentatives de meurtre. Ainsi que l'exige la loi, l'accusé doit être condamné à l'emprisonnement à perpétuité pour le meurtre qu'il a commis. Reste à déterminer le nombre d'années qu'il doit purger avant de pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle ainsi que la peine qui doit lui être imposée pour les tentatives de meurtre. En ce qui concerne le délai préalable à la libération conditionnelle, les suggestions des parties ne pourraient pas être plus éloignées. L'accusé propose la période minimale de 10 ans. Le ministère public suggère, lui, la période maximale de 25 ans.

Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus. Dans sa recherche d’une peine adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel : les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation, de réinsertion sociale, de reconnaissance et de réparation des torts causés ; le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant ; les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables.

La décision rendue en application de l'article 745.4 C.cr. dépend largement des faits. Les facteurs dont il faut tenir compte pour proroger le délai préalable à la libération conditionnelle sont les suivants : 1) le caractère du contrevenant ; 2) la nature de l'infraction ; 3) les circonstances de l'infraction. Ce sont tous des facteurs que l'on doit considérer en ayant à l'esprit le pouvoir discrétionnaire conféré au juge du procès. Certes, le texte de loi ne mentionne pas la réprobation ni la détermination de la dangerosité future. Cela ne veut pas dire, cependant, que ces deux critères ne devraient pas entrer en ligne de compte. Par exemple, la «réprobation» peut être visée par le critère de la «nature de l'infraction». De même, la «dangerosité future» peut être visée par le facteur du «caractère du contrevenant». La «dissuasion» est aussi un critère pertinent pour justifier une ordonnance fondée sur l'article 745.4 C.cr. Le fait d'être admissible ou non à la libération conditionnelle est un élément constitutif du «châtiment» infligé au contrevenant : par exemple, il y a une différence très grande entre être derrière les barreaux et vivre dans la société en bénéficiant d'une libération conditionnelle. En conséquence, l'on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que la prorogation du délai préalable à la libération conditionnelle dissuade certaines personnes de récidiver. Enfin, en règle générale, le délai préalable à la libération conditionnelle est de dix ans, mais le juge du procès peut y déroger en décidant que, suivant les critères énumérés à l'article 745.4 C.cr., un délai plus long devrait s'écouler avant que l'on examine l'opportunité de mettre le contrevenant en liberté. Il est erroné de partir du principe que la peine à infliger doit être le minimum prescrit par la loi, sauf s'il existe des circonstances exceptionnelles. Le pouvoir de proroger le délai préalable à la libération conditionnelle n'a pas à être exercé avec modération.

Dans la présente affaire, le ministère public cherche à obtenir la période maximale d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Il est donc nécessaire de déterminer si une telle décision est réservée au «pire délinquant, pire infraction». À cet égard, la Cour partage l'avis du ministère public selon lequel il n'existe pas de limite dans les décisions de la Cour suprême, bien au contraire. Le principe «pire délinquant, pire infraction» a été enterré. Il ne sert plus de restriction à l’imposition de la peine maximale si celle-ci est par ailleurs appropriée. On ne peut réserver la peine maximale au scénario abstrait du pire crime commis dans les pires circonstances. Il faut donc reconnaître que, compte tenu de la possibilité de fixer jusqu'à 25 ans la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle, le Parlement doit avoir considéré qu'il y avait des meurtres au deuxième degré qui sont tout aussi graves que des meurtres au premier degré et que le tribunal devrait pouvoir s'assurer que l'auteur d'un tel meurtre au deuxième degré reste en prison pendant un nombre approprié d'années. En effet, lorsqu'un meurtre peut être qualifié de quasi-meurtre au premier degré, la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle devrait refléter une telle conclusion. C'est le cas lorsqu'il existe des éléments de préméditation et de planification.

La preuve présentée établit que les infractions commises par l'accusé auront des effets durables sur les victimes. Ce serait un euphémisme d'affirmer que les infractions déclenchent chez certaines victimes un sentiment viscéral, mais tout à fait compréhensible, de répulsion. Pourtant, la Cour se sent obligée de déclarer de façon claire que la vengeance n'est pas une raison pour augmenter la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. La vengeance n'a effectivement aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine.

Reste à déterminer dans quelle mesure l'état mental de l'accusé est un facteur à prendre en considération pour fixer la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Les principes pertinents peuvent être résumés de la façon suivante. Premièrement, les troubles mentaux peuvent atténuer de manière importante une peine, même si la preuve ne révèle pas que la maladie mentale était la cause directe de l'infraction ou que cette dernière a été commise, par exemple, pendant une période de délire ou d'hallucination. Deuxièmement, il suffit que la maladie mentale ait contribué à la commission de l'infraction. Troisièmement, l'importance relative de la dissuasion et de la dénonciation est atténuée lorsque l'on condamne un délinquant qui est atteint de maladie mentale. Ce principe s'applique même s'il existe peu de perspectives de guérison complète et de réadaptation. Quatrièmement, la gravité de l'infraction n'est évidemment pas atténuée par la situation personnelle du délinquant. Cependant, le trouble mental diminue le degré de responsabilité du délinquant. Cinquièmement, l'effet de l'emprisonnement devrait être pris en compte lorsqu'il serait sévèrement disproportionné en raison de la maladie mentale du délinquant.

Pour répondre à la question de savoir dans quelle mesure l'état mental de l'accusé est un facteur à prendre en considération pour fixer la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, il faut appliquer les règles de détermination de la peine applicables après un verdict de jury, telles qu'elles sont énoncées aux articles 723 et 724 C.cr. Le rôle du juge dans de telles circonstances a été décrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Ferguson. Le juge doit éviter de spéculer lorsqu'il détermine la base factuelle implicite du verdict du jury. Dans quelle mesure alors peut-on considérer l'état mental de l'accusé comme un facteur atténuant ? Même si elle ne se sentait pas liée par la conclusion de fait implicite du jury à cet égard, la Cour ne serait pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'état mental de l'accusé devrait être considéré comme un facteur atténuant.

Sur la base des fourchettes de peines proposées par les parties et du verdict du jury, la Cour est d'avis que la fourchette de peines applicable en l'espèce est comprise entre 15 et 20 ans.

Le facteur aggravant le plus important dans la présente affaire est la nature politique des infractions. En effet, il est évident que ces dernières avaient un but politique et étaient motivées par des préjugés ou de la haine fondés sur la pensée, la croyance ou l'opinion politique des membres du Parti Québécois. La pensée, la croyance ou l'opinion politique doivent être considérées comme un facteur aggravant au sens du sous-alinéa 718.2a)(i) C.cr. Les quatre principes fondamentaux et directeurs de notre Constitution sont : 1) le fédéralisme ; 2) la démocratie ; 3) le constitutionnalisme et la primauté du droit ; 4) le respect des minorités. La violence politique de toute sorte ne peut être conciliée avec aucun de ces quatre principes. Aucun tribunal ne peut tolérer l'utilisation de la violence, en particulier avec des armes à feu, pour supprimer la liberté de parole et d'expression de quiconque, quel que soit le parti politique ou l'opinion en cause. La démocratie est un joyau précieux qui, trop souvent, est oublié ou tenu pour acquis. Elle doit être préservée et protégée. Lorsque des infractions politiques sont commises, ceux qui en sont responsables doivent s'attendre à se voir infliger une peine qui reflète la réprobation de la société à l'égard d'une telle conduite criminelle. Le fait que les infractions résultent d'une préparation évidente et que des armes ont été utilisées constitue aussi un facteur aggravant. Les conséquences des infractions ne peuvent non plus être ignorées. Elles sont importantes et perdureront dans le temps.

Par ailleurs, l'accusé en est à sa première infraction et n’était pas reconnu pour être sujet à la violence. En outre, avant le procès, l'accusé a exprimé des remords.

Pour ces motifs, pour le meurtre au deuxième degré, l'accusé est condamné à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 20 ans. Pour les tentatives de meurtre, l'accusé est condamné à l'emprisonnement à perpétuité. Une ordonnance d'interdiction de possession d'armes, de munitions ou d'explosifs, une ordonnance de prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique et diverses ordonnances de confiscation de biens sont également prononcées.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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