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Un ambulancier qui a agressé sexuellement deux femmes ayant eu besoin d'un transport vers l'hôpital est condamné à 11 mois de prison.

Résumé de décision : R. c. Depairon, EYB 2021-420757, C.Q., 16 décembre 2021
Un ambulancier qui a agressé sexuellement deux femmes ayant eu besoin d'un transport vers l'hôpital est condamné à 11 mois de prison.

L'accusé a reconnu s'être livré à des attouchements sexuels non consentis sur deux femmes alors qu'il était dans l'exercice de ses fonctions d'ambulancier. Le ministère public suggère une peine globale d'emprisonnement de 20 à 24 mois. De son côté, l'avocat de la défense sollicite une peine globale d'emprisonnement de 90 jours à être purgée de façon discontinue.

Passibles d'un emprisonnement maximal de dix ans, les agressions sexuelles pour lesquelles l'accusé a reconnu sa culpabilité peuvent être qualifiées d'objectivement graves. En outre, la gravité subjective de ces agressions sexuelles est élevée. En effet, à quelques mois d'intervalle, l'accusé a profité de son statut d'ambulancier pour assouvir des pulsions sexuelles sur deux femmes qui avaient mis leur confiance entre ses mains. Si les gestes commis à l'endroit de la deuxième victime étaient plus intrusifs que ceux commis à l'endroit de la première, dans les deux cas, les victimes étaient vulnérables. Ces dernières étaient effectivement attachées sur une civière. Et en plus d'être aux prises avec un handicap visuel, la première victime était transportée d'urgence pour subir une opération cardiaque. De toute évidence, son état de santé était particulièrement précaire. La deuxième victime était, elle, dans un état de détresse psychologique aiguë. De surcroît, les répercussions émotionnelles, psychologiques et économiques des crimes sur les victimes ne peuvent être ignorées.

Cela dit, l'accusé a enregistré des plaidoyers de culpabilité en temps relativement opportun (quelques mois après le témoignage des victimes à l'enquête préliminaire), il n'a pas d'antécédents judiciaires et il a toujours été un actif pour la société. L'accusé reconnaît également ses torts, il exprime des remords sincères et il manifeste de l'empathie envers les victimes. Enfin, même s'ils ne sauraient justifier de quelque façon que ce soit les gestes odieux posés à l'endroit des victimes, la maladie et le décès du plus jeune fils de l'accusé sont de nature à amoindrir la culpabilité morale de ce dernier.

L'accusé soutient que la médiatisation de son dossier constitue une circonstance atténuante ou un facteur pertinent dont il faut tenir compte. On ne partage pas ce point de vue. Certes, la médiatisation peut être un facteur pertinent dans la détermination d'une peine juste et appropriée. Mais ce n'est pas le cas en l'espèce. D'une part, compte tenu des responsabilités qu'étaient celles de l'accusé au sein d'une institution publique, il était prévisible que son dossier fasse l'objet d'une certaine médiatisation. D'autre part, la couverture médiatique était limitée, pondérée et dénuée de sensationnalisme démesuré. La couverture médiatique de l'affaire et la stigmatisation qui a pu en découler sont ici des conséquences inévitables des gestes posés par l'accusé et du caractère public du système judiciaire pénal. La couverture médiatique traduit de façon proportionnelle la réprobation sociale pour les infractions en cause.

Outre les circonstances aggravantes et atténuantes, il faut aussi tenir compte des circonstances pertinentes suivantes, lesquelles sont propres à la situation personnelle de l'accusé, mais n'ont pas d'incidence directe sur sa culpabilité morale ou sur la gravité des infractions : 1) la bonne collaboration à la confection du rapport présentenciel et de l'expertise en délinquance sexuelle; 2) les multiples démarches thérapeutiques entreprises; 3) le respect des conditions de mise en liberté; 4) l'absence de déviance sexuelle et le faible risque de récidive; 5) le soutien familial; 6) la perte d'emploi. De façon générale, ces circonstances permettent de faire deux constats : 1) le processus de réhabilitation de l'accusé est bien amorcé; 2) l'accusé ne semble pas présenter de problème en matière de dissuasion spécifique.

Sans avoir fait une revue des plus exhaustives des peines imposées à des professionnels de la santé pour des infractions d'ordre sexuel, certains constats se dégagent de la jurisprudence étudiée : 1) la perpétration d'une agression sexuelle par un professionnel de la santé à l'endroit d'une victime vulnérable dans le cadre d'une relation de confiance requiert une peine qui doit dénoncer le comportement en cause et dissuader les personnes en position de confiance de commettre de tels crimes; 2) une agression sexuelle commise par un professionnel de la santé envers une victime vulnérable dans l'exercice de ses fonctions constitue un grave abus de confiance; 3) l'abus de confiance commis dans un tel contexte place à un niveau élevé la culpabilité morale de l'auteur de l'agression sexuelle et constitue donc une circonstance aggravante à laquelle il faut accorder un poids significatif; 4) pour atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion dans un contexte analogue, une peine d'emprisonnement est généralement de mise, et ce, même en présence de plusieurs circonstances atténuantes; 5) la fourchette des peines applicables se situe entre 6 et 18 mois d'emprisonnement ferme (dans la mesure où l'emprisonnement avec sursis n'est plus disponible lorsque l'infraction est poursuivie par mise en accusation); 6) lorsque les infractions sont commises à l'endroit de plus d'une victime et qu'il y a donc répétition des gestes répréhensibles, les peines se situent davantage dans la partie supérieure de la fourchette applicable, allant même jusqu'à un emprisonnement de 24 mois. Évidemment, ce ne sont là que des constats génériques, et non des règles absolues, qui servent de lignes directrices au juge chargé de déterminer une peine proportionnée. La détermination d'une peine demeure une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Le principe de l'individualisation peut, lorsque les circonstances s'y prêtent — notamment en présence d'une preuve convaincante de réhabilitation —, justifier l'imposition d'une peine en marge de la fourchette applicable. Tout dépend de la gravité de l'infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas.

À la lumière des constats dressés à partir de la jurisprudence pertinente et des circonstances propres au dossier, il y a lieu de conclure que la peine globale de 90 jours d'emprisonnement à être purgée de façon discontinue suggérée par l'avocat de la défense (une peine se situant à l'extérieur de la fourchette des peines imposées dans des circonstances semblables) n'est pas proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité de l'accusé. Le grave abus de confiance commis à l'endroit de deux victimes particulièrement vulnérables qui ont souffert — et souffre toujours — d'importantes séquelles psychologiques place à un niveau élevé la culpabilité morale de l'accusé, et ce, malgré les divers facteurs atténuants. Comme le précise la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Friesen, tout abus de confiance est susceptible d'accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l'infraction. C'est le cas dans le présent dossier. La peine suggérée par l'avocat de la défense, en dépit des efforts de réhabilitation entrepris par l'accusé, ne tient pas suffisamment compte de cette réalité. La reconnaissance des torts causés aux victimes et les démarches thérapeutiques de l'accusé, aussi louables soient-elles, ne suffisent pas à atténuer l'importance et la gravité des gestes commis ni ne permettent d'atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Par conséquent, il s'agit d'un cas de figure où l'objectif de réhabilitation et de réinsertion sociale, sans pour autant le négliger, doit céder le pas aux objectifs de dénonciation et dissuasion générale qui sont particulièrement pressants. Même si la dissuasion spécifique semble ici acquise, les professionnels de la santé qui seraient tentés de poser des gestes de même nature doivent comprendre qu'un tel abus de confiance à l'endroit de victimes vulnérables est inacceptable et lourd de conséquences.

Et que dire de la peine globale de 20 à 24 mois d'emprisonnement proposée par le ministère public (une peine se situant dans l'extrémité supérieure de la fourchette des peines généralement imposées à un professionnel de la santé coupable d'agression sexuelle dans le cadre d'une relation de confiance, plus particulièrement lorsque les gestes sont posés à l'endroit de plus d'une victime)? La situation de l'accusé se distingue de celles propres aux délinquants ayant reçu des peines de l'ordre de celle avancée par le ministère public. Ce dernier justifie l'ampleur de la peine proposée en s'appuyant sur les principes énoncés dans l'arrêt Friesen. On ne partage pas ce point de vue. Une lecture attentive de cet arrêt permet de conclure que la Cour suprême du Canada y préconise un ajustement à la hausse des peines infligées pour des agressions sexuelles commises sur des enfants, et non sur des adultes. Une peine globale de 20 à 24 mois d'emprisonnement ne tiendrait pas suffisamment compte des divers facteurs atténuants et pertinents favorables à l'accusé. De plus, cette peine serait quelque peu contraire au principe de modération dans l'imposition d'une première peine d'emprisonnement. Et cette peine ne serait surtout pas conforme au principe cardinal de la proportionnalité.

Dans la présente affaire, une peine d'emprisonnement ferme à être purgée de façon continue s'impose, mais pas d'une durée avoisinant les deux ans. La présence de plusieurs facteurs d'allégement de la peine milite en faveur d'une peine ajustée à la baisse à partir de la fourchette des peines applicables dans des circonstances semblables. Ainsi, l'accusé est condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois pour l'agression sexuelle commise sur la première victime et à une peine d'emprisonnement de six mois pour l'agression sexuelle commise sur la deuxième victime. S'agissant de « transactions distinctes », la peine relative à la deuxième agression sexuelle sera purgée consécutivement à la peine relative à la première agression sexuelle, le tout pour un total de 11 mois d'emprisonnement. Il s'agit d'une peine globale qui respecte les principes de totalité et de proportionnalité. Une fois libéré, l'accusé sera soumis à une ordonnance de probation de deux ans avec une supervision pendant un an et demi. Des ordonnances accessoires sont également prononcées.

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