La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant pour Mme Kianna Sam, réclame 10 000 $ à la société défenderesse, qui exploite un dépanneur. Elle plaide que Mme Sam n’a pu y obtenir les biens et services ordinairement offerts au public dans ce type d’établissement commercial, et ce, pour des motifs discriminatoires. Mme Sam est noire et s’exprime dans un anglais cassé. L’incident litigieux s’est produit en janvier 2019, alors qu’elle est entrée dans le dépanneur avec ses deux plus jeunes enfants, âgés de 4 et 2 ans. Le plus vieux, âgé de 8 ans, est venu les rejoindre quelques minutes plus tard. La Commission soutient que le propriétaire du dépanneur (M. Liu) s’est alors livré à du « profilage racial » envers Mme Sam en refusant de lui vendre des biens de consommation et en l’exhortant à quitter son commerce.
La Commission doit prouver les trois éléments suivants : 1) une distinction, exclusion ou préférence (une différence de traitement); 2) fondée sur l’un des motifs énumérés à l’art. 10 de la Charte québécoise; 3) et qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.
Le premier élément est prouvé. La personne qui, accompagnée de ses jeunes enfants, entre dans un dépanneur pour s’y procurer des biens de consommation ne s’attend pas à ce qu’on lui intime de quitter les lieux, sans lui permettre de compléter ses achats, sous peine d’être expulsée avec l’assistance de la police.
La Commission doit ensuite établir que la distinction ou l’exclusion subie par Mme Sam est liée, en tout ou en partie, à l’un des motifs de discrimination énumérés à l’art. 10 de la Charte.
Dans sa demande introductive d’instance, la Commission allègue que Mme Sam a été victime de discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe et la condition sociale. Son avocate plaide qu’il y a confluence de plusieurs caractéristiques personnelles qui, par leur effet cumulatif, mènent à un profilage discriminatoire. Cependant, il appert que, dans sa résolution d’avril 2020, la Commission n’indiquait que la race et la couleur comme motifs de discrimination. Ainsi, tout porte à croire que l’ajout du sexe et de la condition sociale dans la demande introductive et dans le mémoire est le fait de la direction du Contentieux de la Commission, et non de la Commission proprement dite. Or, le Contentieux ne peut, par ses actes de procédure, ajouter des motifs de discrimination de manière à conférer au Tribunal une compétence qui excède le cadre délimité par la résolution de la Commission. Par conséquent, le Tribunal entend limiter son analyse aux motifs de la race et de la couleur.
La Commission doit donc établir que la race et la couleur de Mme Sam ont un lien quelconque avec le traitement que M. Liu lui a réservé lors de sa visite à son dépanneur, en janvier 2019. Or, elle ne fait pas cette preuve. Le fait que l’identité unique d’une personne puisse se décliner à travers plusieurs des caractéristiques personnelles ciblées par l’art. 10 n’emporte pas une présomption que le traitement cavalier, indélicat ou rustre qu’un commerçant lui réserve est forcément discriminatoire. Ici, le Tribunal retient de l’ensemble de la preuve que M. Liu a eu une réaction disproportionnée, eu égard aux circonstances. Son comportement irritable, empreint de méfiance et motivé par une crainte presque obsessive d’être victime de vol, l’a conduit à porter contre Mme Sam et ses fils des accusations sans fondement qui ont manifestement blessé celle-ci. Par contre, si désobligeant ait été son comportement, il n’y a pas de preuve prépondérante que celui-ci est en lien avec la couleur ou la race de Mme Sam. Il appert en effet que la réaction intempestive de M. Liu n’aurait pas été différente si Mme Sam et ses enfants n’avaient pas été noirs. À l’évidence, c’est sa crainte démesurée et viscérale que des produits soient consommés ou subtilisés à son insu qui fut le seul moteur de son action. Ses appels répétés à la police lors de conflits sur le sujet avec sa clientèle le démontrent clairement.
Comme la Commission n’a pas fait la preuve du deuxième élément constitutif de la discrimination, sa demande doit être rejetée.