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Est confirmé en appel le jugement du Tribunal des droits de la personne qui conclut que l’employeur a contrevenu aux articles 10, 19, 46 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne en versant à ses salariés étudiants un salaire inférieur à celui payé à ses salariés réguliers et occasionnels exécutant un travail équivalent.

Résumé de décision : Aluminerie de Bécancour inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres), C.A., 16 juin 2021.
Est confirmé en appel le jugement du Tribunal des droits de la personne qui conclut que l’employeur a contrevenu aux articles 10, 19, 46 et 4 de la <em>Charte des droits et libertés de la personne</em

L’Aluminerie de Bécancour inc. (ABI) interjette appel du jugement du Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) qui a accueilli en partie le recours exercé par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) au nom de ses salariés étudiants. Ce recours faisait suite à des plaintes déposées par le syndicat mis en cause, qui soutenait que, depuis janvier 1995, les étudiants étaient les salariés les moins payés chez ABI et que ce désavantage ne pouvait être motivé que par leur âge et leur condition sociale, puisqu’ils font le même travail que les salariés qui reçoivent une rémunération supérieure. Le Tribunal lui a donné raison. Il conclut à l’existence d’une distinction fondée sur la condition sociale et l’âge, des motifs interdits par l’art. 10 de la Charte québécoise, qui a compromis le droit des salariés étudiants à un salaire égal pour un travail équivalent et porté atteinte à leur dignité. Il conclut aussi que la distinction n’est pas justifiée au sens de l’art. 19, al. 2 de la Charte. Sur ce point, il rejette l’argument d’ABI que la différence de traitement résulte du fait que les étudiants ont un contrat à durée déterminée et que la distinction serait donc fondée sur l’exception de la « durée de service ».

L’appel est rejeté.

Le Tribunal n’a pas erré en concluant que le statut d’étudiant est inclus dans la notion de « condition sociale ». D’entrée de jeu, il faut préciser qu’ABI se méprend sur le fardeau de preuve requis lors d’une contestation fondée sur l’art. 10 de la Charte. En effet, la preuve d’une discrimination découlant de préjugés, de stéréotypes ou du contexte social n’est pas nécessaire pour soutenir un recours en vertu de cet article. Une preuve de ce type peut être nécessaire lors d’un recours fondé sur l’art. 15 de la Charte canadienne, mais, lorsqu’il est question de la contestation d’une mesure administrative fondée l’art. 10 de la Charte québécoise, la Cour suprême a développé des critères d’analyse spécifiques. Ainsi, tout en reconnaissant que l’interprétation de la Charte québécoise doit se faire à la lumière de celle de la Charte canadienne, la Cour suprême détermine dans son arrêt rendu en 2015 dans l’affaire Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) que, pour assurer le succès d’un recours fondé sur l’art. 10 de la Charte québécoise, il faut plutôt prouver :1) une distinction, exclusion ou préférence ; 2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’art. 10 ; et 3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne. Elle n’exige pas autre chose. Par ailleurs, elle précise que, contrairement à la Charte canadienne, la Charte québécoise ne protège pas le droit à l’égalité, et que le recours doit nécessairement être rattaché à un autre droit ou à une autre liberté de la personne reconnus par la loi, ici le droit de recevoir un salaire égal pour un travail équivalent. La jurisprudence ultérieure de la Cour suprême applique ces critères.

Concernant sa position voulant que le statut d’étudiant ne soit pas inclus dans la notion de « condition sociale », ABI se limite à écrire que les étudiants n’en font pas partie parce que la CDPDJ n’a pas prouvé que ce groupe est dans une situation qui engendre de la discrimination en raison de préjugés, de stéréotypes ou du contexte social. Pourtant, selon la jurisprudence, la condition sociale résulte de caractéristiques que l’on attribue généralement à une personne en raison de critères socio-économiques et l’idée sous-jacente que celle-ci occupe une place inférieure en raison, notamment, de son revenu. Globalement, on peut retenir que la jurisprudence québécoise a privilégié la protection de différentes catégories de personnes qui ont généralement (mais pas toujours) comme dénominateur commun d’avoir un faible revenu ou de vivre une situation économique précaire, comme les étudiants. Le Tribunal a adopté cette idée. Il écrit notamment qu’il existe dans la société québécoise « une idée que la main-d’oeuvre étudiante est une main-d’oeuvre à bon marché ». Par ailleurs, le niveau d’éducation d’une personne est l’un des paramètres de la condition sociale, comme en fait état la définition proposée par le juge Tôth en 1978 et appliquée depuis par la jurisprudence québécoise. Or, les étudiants qui travaillent pour ABI ont été privés d’un droit fondamental, soit celui de recevoir le même traitement que les autres salariés pour le même travail, et ce, en raison du seul fait qu’ils appartiennent à ce groupe social identifiable que constituent les étudiants. Il faut rejeter l’idée que le statut d’étudiant résulte d’un choix personnel et que, pour cette raison, il ne peut fonder une plainte de discrimination en vertu du motif de la condition sociale. Il faut aussi rejeter l’idée que les étudiants qui travaillent chez ABI jouissent d’un statut enviable puisqu’ils « occupent une place avantageuse dans la société », et qu’il ne s’agit donc pas de personnes vulnérables.

C’est donc à bon droit que le Tribunal a inclus le statut d’étudiant dans le motif de la condition sociale prévue par l’art. 10 de la Charte et en concluant que les étudiants qui ont travaillé chez ABI ont été victimes de discrimination interdite pour cause de violation du droit consacré à l’art. 19, al. 1 de la Charte. Comme la condition sociale a été au coeur du raisonnement du Tribunal et de sa décision, et vu la conclusion de la Cour sur le sujet, il n’est pas nécessaire de traiter de la question de savoir si le Tribunal a erré en concluant à l’existence d’une distinction fondée sur l’âge.

Le Tribunal n’a pas non plus erré dans l’interprétation et l’application des notions de « travail équivalent » et de « durée de service » prévues à l’art. 19 de la Charte. Par ailleurs, sa conclusion que les étudiants faisaient un travail équivalent à celui exécuté par les salariés réguliers et occasionnels est bien fondée, tout comme celle voulant que ce ne soit pas en raison de leur « durée de service » — inférieure à celle des autres salariés — qu’ils recevaient un salaire inférieur.

En plus de condamner ABI à verser aux étudiants lésés une indemnité pour compenser leurs pertes pécuniaires, le Tribunal lui a ordonné de leur verser chacun 1 000 $ à titre de « dommages moraux ». La demande d’ABI d’annuler cette dernière conclusion est rejetée. Rien ne justifie une intervention sur ce point.

Finalement, il faut rejeter l’argument d’ABI voulant que le Tribunal ait erré en refusant de reconnaître la responsabilité solidaire du syndicat.

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