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La Cour d’appel interprète les articles 441, 443, 444 et 445 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Résumé de décision : QSL Québec inc. c. Dignard EYB 2023-510488, C.A., 23 janvier 2023.
La Cour d’appel interprète les articles 441, 443, 444 et 445 de la <em>Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles</em>.

Les sept intimés sont des salariés de Groupe Canam Manac inc. Ils ont chacun déposé, devant la Cour supérieure, une action en responsabilité civile contre les sociétés QSL Québec inc. (QSL) et QSL Global Services Inc. (QSL Global), pour le préjudice découlant de problèmes de santé liés à une exposition excessive aux radiations émises par l’appareil de gammagraphie industrielle fabriqué par QSL Global et opéré par un employé de QSL sur leur lieu de travail. En mars 2020, tous ces recours ont été réunis pour une audition commune, sans opposition. Cependant, en février 2022, QSL a déposé une demande en suspension de l’instance, en soutenant que trois des sept intimés avaient, préalablement à l’introduction de leur action, déposé une demande d’indemnisation à la CNESST et que ces trois dossiers étaient toujours pendants devant le TAT. Elle demandait la suspension de l’instance réunie jusqu’à ce que le TAT ait rendu ses décisions finales dans ces dossiers. Le juge qui a été saisi de sa demande l’a rejetée, d’où le présent appel.

QSL plaide que le juge de première instance a commis une erreur déraisonnable en interprétant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) comme conférant aux travailleurs le droit de poursuivre un tiers employeur devant les tribunaux civils. Selon elle, les organismes relevant de la LATMP seraient les seuls disposant de la compétence voulue pour décider si un événement constitue une « lésion professionnelle ». Elle ajoute qu’une interprétation correcte de la LATMP aurait dû mener le juge à conclure qu’il existe un lien intime entre les deux instances et que le recours civil en Cour supérieure dépend de celui entrepris devant la CNESST en vertu de la LATMP. Aussi, la suspension de l’instance en Cour supérieure serait justifiée en raison du risque de jugements contradictoires. Qui plus est, permettre aux deux instances de se poursuivre irait à l’encontre d’une saine administration de la justice, risquerait de multiplier inutilement les procédures et s’avérerait contraire au principe de proportionnalité. QSL Global, mise en cause, appuie les arguments de QSL. Elle ajoute que le juge a erré dans son interprétation de l’art. 441, al.  1 (2) LATMP et qu’il a conclu à tort que cet article autorise le travailleur lésé à déposer des recours simultanés devant la CNESST et devant un tribunal de droit commun.

Il est difficile d’arrimer le texte de l’art. 441, al. 1 (2) avec celui des art. 443 à 445 LATMP. Le professeur Tancelin ne manque d’ailleurs pas de signaler le caractère hétérogène de l’art. 441 al. 1 (2) LATMP et le manque de rigueur du législateur dans sa rédaction. Il en conclut que l’ordre dans lequel les recours du travailleur seront introduits a peu d’importance. Plusieurs autres auteurs sont du même avis et une lecture des débats parlementaires entourant l’adoption de l’art. 421 LATMP (devenu l’art. 443) renforce l’interprétation que propose cette doctrine. À l’instar de celle-ci, la Cour estime qu’une lecture cohérente et conforme au principe moderne d’interprétation législative des art. 441 à 445 LATMP mène à conclure que le régime de la LATMP prévoit le droit d’opter pour un recours civil à l’égard du tiers employeur sans obliger le travailleur lésé à déposer d’abord une demande d’indemnisation devant la CNESST. Le juge de première instance suit dans un premier temps cette approche. Il franchit toutefois une étape de plus et conclut que les deux recours peuvent procéder simultanément, ce que n’autorise pourtant manifestement pas la LATMP. En effet, si le travailleur lésé « doit faire option », c’est qu’il ne peut déposer simultanément une réclamation à la CNESST et un recours civil devant un tribunal de droit commun. En suggérant dans son jugement qu’une telle chose est possible, le juge de première instance applique un critère juridique inadéquat au débat présenté devant lui et il commet une erreur de droit qui commande l’intervention de la Cour.

En permettant que les recours se poursuivent simultanément, le juge occulte également les propos des auteurs Laporte et Lavallée, sur lesquels il appuie pourtant son raisonnement lorsque vient le temps de conclure qu’il n’existe aucune obligation de priorité de recours entre la réclamation à la CNESST et le recours en Cour supérieure. Or, ces auteurs estiment plus pratique et logique, lorsque les délais le permettent, de procéder d’abord devant la CNESST.

Le juge commet aussi une erreur lorsqu’il affirme qu’il n’y a aucun lien entre les deux instances autrement qu’en ce qui concerne le montant de l’indemnisation que pourra accorder la Cour supérieure et qui se limite à l’excédent de la prestation à laquelle le travailleur lésé aura droit en vertu du régime d’indemnisation de la LATMP. En effet, il semble indéniable, au vu de l’art. 441, al. 1(2) LATMP, que le sort des actions en responsabilité civile introduites devant la Cour supérieure dépendra dans une large mesure de la reconnaissance ou non par le TAT de l’existence d’une lésion professionnelle et du versement d’une prestation au sens de la LATMP, le cas échéant, du moins pour les trois travailleurs ayant présenté une demande d’indemnisation.

Finalement, le seul fait qu’il n’y ait pas risque de chose jugée ou de jugements contradictoires à proprement parler pour les quatre autres intimés ne permet pas pour autant d’écarter la suspension de l’instance civile. Dans une perspective de proportionnalité, la suspension de l’instance est susceptible d’éviter aux parties d’engager des coûts d’expertises qui pourraient s’avérer inutiles, ce que le juge de première instance omet de considérer, tout comme les coûts que pourrait devoir assumer inutilement QSL si l’affaire procède d’abord devant la Cour supérieure. Il est vrai que le sort des actions intentées par les quatre intimés qui n’ont pas déposé de réclamation à la CNESST ne dépend pas a priori du sort de la contestation des trois autres devant le TAT, mais il reste que ces quatre intimées ont fait le choix de joindre leurs recours à ceux des trois autres. Ces quatre intimés n’ont pas tenté depuis de disjoindre leurs recours. En fait, lorsque la Cour les a invités à considérer cette idée, ils se sont dits prêts à y réfléchir pour l’avenir, sans plus. Il n’appartient certainement pas à la Cour d’imposer d’office et dans de telles circonstances la disjonction des recours pour permettre à ces intimés de faire avancer leur dossier séparément des trois autres. Sans compter qu’il est difficile de concevoir en quoi le fait pour eux de faire avancer leur dossier en Cour supérieure plus rapidement que celui des trois intimés retenus devant le TAT peut s’avérer à leur avantage alors que leurs actions semblent à la remorque des recours pendants devant le TAT.

L’appel est conséquemment accueilli. Le jugement de première instance est annulé et la suspension de l’ensemble des instances réunies est ordonnée jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue par le TAT dans les trois dossiers qui sont pendants devant lui.

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