Dans un précédent billet, nous avons traité des principes applicables en matière de réduction du prix de vente et avons souligné les enseignements des arrêts Verville et Lahaie, lesquels nous rappellent que la réduction du prix de vente doit être raisonnable eu égard aux circonstances et ne doit pas avoir pour effet d’enrichir indument l’acheteur au détriment du vendeur, alors que l’acheteur conservera le bien vendu.
Dans un autre billet, nous avons rappelé que la vétusté et l’usure normale ne constituaient pas un vice couvert par la garantie légale de qualité.
L’importance de la détermination préalable de la valeur économique de la réclamation de l’acheteur dans le cadre d’une réclamation pour vices cachés
Un des éléments les plus importants à rappeler à nos clients en matière de vices cachés est que la garantie légale de qualité ne constitue pas une garantie valeur à neuf.
Ainsi, dans le cadre d’une réclamation pour vices cachés visant à réclamer le coût de remplacement/réparation d’une composante d’un immeuble datant de plusieurs années, mais n’ayant pas encore atteint sa fin de durée de vie utile, il s’avère essentiel de déterminer la dépréciation applicable pour tenir compte de la plus-value qu’apportera le remplacement/la réparation de la composante viciée à l’immeuble, pour ainsi éviter un enrichissement de l’acheteur au détriment du vendeur.
« Un des éléments les plus importants à rappeler à nos clients en matière de vices cachés est que la garantie légale de qualité ne constitue pas une garantie valeur à neuf. »
La détermination de la dépréciation applicable permet de déterminer la valeur économique de la réclamation, c’est-à-dire le montant que l’acheteur peut réellement s’attendre à obtenir, compte tenu de l’âge de l’immeuble/de la composante viciée, dans l’éventualité où le tribunal conclurait à vices cachés. Un acheteur ne peut ainsi s’attendre à recevoir le plein remboursement du coût des travaux de remplacement d’une composante viciée qui était âgée de plus de vingt ans au moment de la vente.
Dès lors, la détermination de ladite valeur économique permet de déterminer dès le départ la valeur réelle et réaliste de la réclamation, ce qui peut avoir un impact favorable dans d’éventuels pourparlers de règlement entre les parties.
Plus particulièrement, lorsque les parties sont conscientes dès le départ de la valeur économique de la réclamation de l’acheteur, cela peut, dans bien des cas, favoriser ou du moins aider à la conclusion d’un éventuel règlement négocié : la dépréciation applicable réduisant les montants pouvant être réclamés par l’acheteur à titre de réduction du prix de vente, les montants réclamés deviennent souvent plus réalistes, favorisant ainsi un rapprochement des positions économiques des parties dans un litige.
On ne peut ainsi réclamer le coût entier de remplacement d’un drain français qui a une durée de vie utile de 40 ans et qui était âgé de 35 ans au moment de la vente : une diminution de 1/8 du coût de remplacement (5/40) s’avère adéquate, la garantie légale ne couvrant pas le vieillissement normal. Si le coût de remplacement du drain français est par exemple de 50 000 $, il est raisonnable de penser qu’il sera beaucoup plus facile de régler beaucoup plus rapidement, en principe, un dossier de réclamation de 6 250 $ qu’une réclamation de 50 000 $ manifestement irréaliste eu égard à l’âge du drain au moment de la vente. Au surplus, l’acheteur, connaissant la valeur économique de sa réclamation, n’entreprendra probablement pas une réclamation d’un montant de 50 000 $ devant la chambre civile de la Cour du Québec, avec tout ce que cela implique, alors qu’il sait qu’il peut s’attendre au mieux à pouvoir obtenir 6 250 $, ce qui l’incitera fort probablement à se diriger dès le départ vers la division des petites créances.
Une des erreurs les plus fréquemment commises par les plaideurs en matière de recours pour vices cachés, tant en demande qu’en défense, est d’omettre la preuve relative à la détermination du pourcentage dépréciation applicable à la réclamation de l’acheteur. Sans preuve relative à la dépréciation applicable, le plaideur risque de se retrouver littéralement à la merci de la preuve relative à la dépréciation applicable de la partie adverse, ou encore d’être à la merci de la discrétion du tribunal, qui pourra fixer lui-même la dépréciation applicable, même en l’absence de preuve d’experts.
Le pouvoir du tribunal d’imposer la dépréciation applicable en l’absence de preuve d’experts à cet effet : l’affaire Deslauriers c. Desmangles (EYB 2016-26726 (C.S.) – Texte intégral | Fiche quantum)
Dans cette décision récente de juin dernier, le tribunal (présidé par l’honorable Marc St-Pierre, j.c.s.) a accueilli une réclamation pour vices cachés en lien avec la présence de pyrite. Dans cette affaire, la Cour a accueilli la réclamation des acheteurs, laquelle se rapportait entre autres à des travaux de remplacement du remblai et de la dalle, ainsi qu’à des travaux de reconstruction du sous-sol.
Devant l’absence quasi totale de preuve relative à la dépréciation applicable soumise par les défendeurs principaux, en garantie et en arrière-garantie lors du procès, le tribunal s’est questionné sur la question de la diminution de prix de vente devant s’appliquer en l’espèce.
La Cour a effectué une analyse de la jurisprudence sur la question de la dépréciation à appliquer sur le coût des travaux de réfection et de reconstruction pour des cas similaires pour établir la diminution de prix applicable. Il est intéressant de noter que c’est le service de recherche de la Cour supérieure qui a fourni au tribunal les décisions analysées par le tribunal sur cette question. Cette analyse a permis au tribunal de constater que les plaideurs présentaient rarement des preuves d’experts pour déterminer la dépréciation/diminution du prix de vente applicable (sur une vingtaine de cas retracés, des preuves d’experts n’avaient été présentées que dans trois cas).
Il est intéressant de lire le juge St-Pierre sur la question de la plus-value :
[88] Par ailleurs, en ce qui concerne la plus-value, le tribunal a procédé à une analyse de la jurisprudence sur la question – ou sur la question de la dépréciation à appliquer sur le coût des travaux de réfection ou de reconstruction pour établir la diminution du prix – à partir de décisions trouvées par le service de recherche de cette cour qui a aussi identifié et surligné les passages pertinents.
[89] Je constate dans un premier temps que sur une vingtaine de cas retracés, des preuves d’experts ont été présentées seulement dans trois affaires ; le pourcentage de réduction appliqué par le tribunal dans ces cas varie entre 50 et 60 %.
[90] Dans les autres cas, généralement des cas récents datant souvent d’après 2010, jugés par cette cour ou la Cour du Québec, les pourcentages de dépréciation accordés le cas échéant par le tribunal lorsque c’est possible de le déterminer varient de 10 % à 50 % avec une forte concentration à 20, 25, 30 ou 331/3 %; je signale que, dans la grande majorité des cas, il n’est pas fait référence à l’âge de l’immeuble ou à l’âge de la partie de l’immeuble affectée de vices devant faire l’objet des travaux de réfection, souvent des fondations ; certains jugements accordent des taux de dépréciation différents selon la nature des travaux, soit qu’il s’agit de travaux de réfection de la partie de l’immeuble devant être remplacé à cause du vice ou de travaux de reconstruction rendus nécessaires par les travaux de réfection; pour les travaux de reconstruction seulement, lorsque cette distinction est faite, le taux de dépréciation appliqué sur les travaux de reconstruction se situe – dans les trois cas retracés – à 50 %.
[91] D’autre part, dans Kerzérho c. Immeubles Bernadet inc., ma collègue Nicole Bénard écrit sur cette question précise de plus-value qu’elle ne peut pas décider de déduire un montant de façon arbitraire parce qu’aucune preuve de plus-value apportée à l’immeuble (un condo) par les travaux de reconstruction (d’installation de nouveaux planchers) ne lui a été apportée.
[92] Cependant, la Cour d’appel elle-même a déjà accordé une réduction (20 % en l’occurrence) sur le coût des travaux associés à la réfection en l’absence de toute preuve d’expert et sur la seule base d’une évaluation discrétionnaire.
[93] Dans les circonstances, je me considère lié et je crois qu’il me faut appliquer une certaine dépréciation sur la valeur des travaux même en l’absence d’une preuve d’expert, surtout qu’en l’espèce ce serait manifestement inéquitable de ne pas le faire ; […] [Notes omises]
Se ralliant à l’opinion de sa collègue l’honorable Marie Anne Paquette rendue dans l’affaire Riendeau c. Guy Brière Courtier d’assurances inc. (EYB 2012-214847 (C.S.) – Texte intégral | Fiche quantum) et maintenue par la Cour d’appel (EYB 2014-242752 (C.A.) – Texte intégral | Fiche quantum), le juge St-Pierre accorde une diminution du prix des montants réclamés de 50 % uniquement pour les travaux de reconstruction, et aucune dépréciation n’est accordée sur les montants réclamés pour les travaux de réfection (remplacement du remblai et pose d’une nouvelle dalle), le tribunal soulignant l’absence de preuve de la nécessité de procéder au remplacement des dalles au bout d’un certain laps de temps même en l’absence d’un vice de construction :
[93] […] toutefois, en ce qui concerne les travaux de réfection, le remplacement du remblai et la pose d’une nouvelle dalle, je n’ai pas l’intention d’en accorder : je n’ai aucune preuve de la nécessité de remplacement des dalles au bout d’un certain laps de temps même en l’absence d’un vice de construction contrairement à la preuve présentée – autre que d’expert en évaluation de maison pour déterminer un pourcentage de plus-value – dans d’autres cas ayant fait l’objet des jugements consultés par le soussigné où c’est ce qui s’est fait.
[...]
[95] Ainsi, une diminution de 50 % du coût des travaux de reconstruction doit être appliquée en diminution du prix de vente de la maison pour tenir compte de la plus-value des lieux par rapport à leur valeur à l’époque de l’achat de la maison par les demandeurs ; je ne peux accorder davantage parce que c’eût été aux défendeurs, principaux, en garantie ou en arrière garantie, à faire la preuve d’une dépréciation plus importante, le cas échéant […] ; [Notes omises]
Conclusion
Il n’existe pas de règle absolue et uniforme pour déterminer le taux de dépréciation applicable dans le cadre d’une réclamation pour vices cachés. Comme l’a mentionné le juge LeBel dans l’arrêt Eloi Bernier c. Côté (EYB 1991-63710 (C.A.) – Texte intégral), « la fixation d’un taux de dépréciation relève d’ailleurs souvent plus de l’art ou d’un jugement prudentiel, que d’un calcul véritablement scientifique ».
Afin d’éviter d’être littéralement à la merci de la preuve d’expert de la partie adverse ou encore d’être à la merci de la discrétion du tribunal qui pourrait décider de la dépréciation à appliquer et sur quoi précisément on l’applique, il est essentiel pour le plaideur d’être en mesure de faire la preuve appropriée qui lui permettra de déterminer quelle est la dépréciation qui se doit d’être appliquée par le tribunal sur les montants réclamés par l’acheteur. Cela s’applique non seulement au plaideur en défense qui représente le vendeur, mais également à celui qui agit en demande, pour l’acheteur, afin notamment de lui permettre de contester le pourcentage de dépréciation proposé par le vendeur et surtout de permettre à l’acheteur de demander dès le départ un montant réaliste.
Au surplus, la détermination de la valeur économique permettra à un acheteur, dès le départ, de déterminer s’il en vaut ou non la peine, d’un point de vue financier, d’entreprendre ou non de coûteuses et souvent très longues procédures judiciaires contre son vendeur, en plus de lui permettre d’avoir des attentes financières beaucoup plus réalistes dès le départ, ce qui peut favoriser la conclusion d’un règlement négocié plus rapidement dans certains cas.
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