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Cellulaire au volant : une infraction même si l'appareil est dans la main du passager

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
Cellulaire au volant : une infraction même si l'appareil est dans la main du passager

Une décision municipale rendue il y a quelques jours vient jeter un éclairage intéressant sur l’interprétation de l’article 443.1 du Code de la sécurité routière (le « CSR ») par nos tribunaux. La décision en question, Ville de Rosemère c. Poulin (2019 QCCM 47), vient interpréter l’interdiction qu’inclut dorénavant le CSR  d’utiliser un téléphone cellulaire, sauf par le biais d’un « dispositif mains libres ».

Comme chacun le sait, notre CSR dicte en effet désormais qu’un conducteur de véhicule ne doit pas faire usage d’un téléphone cellulaire (ou d’un appareil du genre). Le CSR prévoit cependant une exception pour les cas où l’usage en question s’effectue par le biais d’un dispositif permettant au conducteur de parler au téléphone sans manipuler l’appareil avec ses mains. La décision récente de la Cour municipale de la ville de Rosemère dont il est ici question devait trancher à savoir dans quelle mesure une accusation en vertu de l’article 443.1 CSR devrait tenir la route (sans mauvais jeu de mots), dans un cas ou le comportement qu’on reproche à M. Poulin (le conducteur visé) est d’avoir parlé au téléphone alors que c’est la conjointe de celui-ci qui tenait l’appareil en main.

La question qui se présente ici au tribunal touche l’intention du législateur quant à l’exception de l’interdiction d’usage du téléphone cellulaire et, plus précisément, la définition de « dispositif mains libres ».  Comme chacun s’en souviendra, l’article en question du CSR énonce que :

Il est interdit à tout conducteur d’un véhicule routier […] de faire usage d’un téléphone cellulaire […] sauf dans les cas suivants : 1°   le conducteur du véhicule routier utilise un dispositif mains libres;
2°   le conducteur du véhicule routier […] actionne une commande de l’écran alors que celui-ci satisfait à l’ensemble des conditions suivantes :
a)   il affiche uniquement des informations pertinentes pour la conduite du véhicule ou liées au fonctionnement de ses équipements usuels;
b)   il est intégré au véhicule ou installé sur un support, amovible ou non, fixé sur le véhicule;
c)   il est placé de façon à ne pas obstruer la vue du conducteur  […];
d)   il est positionné et conçu de façon à ce que le conducteur […] puisse le faire fonctionner et le consulter aisément.
Pour l’application du premier alinéa, le conducteur du véhicule routier ou le cycliste qui tient en main, ou de toute autre manière, un appareil portatif est présumé en faire usage.

 

Dans ce cas-ci, selon l’honorable Jean-Sébastien Brunet, on peut conclure à la violation de l’article 443.1 CSR par M. Poulin, compte tenu des faits de l’espèce et de l’interprétation qui s’impose par rapport à cet article.

Avant l’arrestation du véhicule de l’accusé, le policier constate de visu (pendant une quinzaine de minutes) que le conducteur était au téléphone cellulaire, en le tenant dans la main gauche. Les témoins de l’accusé précisent cependant, eux, que l’accusé s’est limité à demander à sa conjointe de répondre à un appel, après qu’elle ait activé elle-même la fonction haut-parleur sur l’appareil, afin de permettre à l’accusé de converser avec l’interlocuteur pendant qu’il conduisait. L’accusé admet néanmoins avoir pris l’appareil en main alors que le véhicule passait dans un lave-auto, pendant sa conversation téléphonique.

Le juge Brunet souligne ici que l’article 443.6 énonce que cette section du CSR s’applique non seulement sur les chemins publics, mais aussi sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. La jurisprudence interprète d’ailleurs l’interdiction quant aux cellulaires comme s’appliquant non seulement aux conducteurs actifs, mais aussi à ceux qui demeurent au volant d’un véhicule immobilisé, tant qu’il n’est pas carrément stationné à un endroit destiné à cet usage. Aussi, on doit interpréter l’usage de son cellulaire par l’accusé à l’intérieur d’un lave-auto dans lequel passait son véhicule comme violant la prohibition de l’article 443.1 CSR. Pour les besoins de cet article, un véhicule en déplacement dans un lave-auto est équivalent à un véhicule sur la rue.

D’ailleurs, le juge Brunet pousse l’analyse encore plus loin à ce sujet. Peu importe la question de savoir si l’accusé a tenu son téléphone en main dans le lave-auto, il admet avoir conversé à l’extérieur du lave-auto pendant que l’appareil était tenu en main par sa conjointe. Ce fait s’avère problématique pour ce dossier, pour les raisons suivantes.

Si on interprète l’article (nouveau) 443.1 par rapport à l’article 439.1 qu’il a remplacé dans le CSR, il parait logique (toujours selon le juge Brunet) que l’intention du législateur était de proscrire non seulement le fait de tenir en main un appareil, mais carrément de bannir l’usage d’un téléphone cellulaire au volant, sauf d’une façon très spécifique. Aussi, si un conducteur utilise un appareil cellulaire alors qu’il est au volant, sa seule porte de sortie (pour éviter d’enfreindre l’article 443.1) est de ce faire grâce à un  dispositif (du matériel) mains libres qui se trouve dans la liste de critères énoncés dans cet article du CSR. À défaut, la prohibition s’applique.

Or, dans les circonstances, le conducteur admet ici avoir eu une conversation téléphonique par le biais de son téléphone cellulaire, pendant sa conduite du véhicule. Juridiquement, le fait que l’appareil se trouvait alors sur le banc, sur le tableau de bord (non fixé) ou dans les mains de sa conjointe ne s’avère pas pertinent. Puisqu’il y a eu usage d’un cellulaire sans que l’appareil soit intégré au véhicule ou installé sur un support, on doit appliquer la prohibition de l’article 443.1 CSR, purement et simplement.

Au final, M. Poulin sera donc reconnu coupable d’avoir fait usage d’un téléphone cellulaire (soit d’avoir parlé) pendant qu’il conduisait et que sa conjointe tenait l’appareil en main. Eh non, une conjointe n’est pas un dispositif, qu’on se le tienne pour dit !

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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