Bien que la loi canadienne quant aux droits d’auteurs ait été modifiée il y a déjà plusieurs années pour les protéger, nos tribunaux n’avaient pas sérieusement été impliqués à ce jour dans la sanction de l’obligation de ne pas contourner les dispositifs de protection technologiques des logiciels. Avec une décision récente de la Cour fédérale, c’est maintenant chose faite.
À titre de contexte, jusqu’à il y a cinq ans, on pouvait légalement neutraliser et contourner un verrou technologique (comme, par exemple, du chiffrement) qu’un producteur de contenu avait placé sur un produit numérique. Bien que la loi canadienne interdisait la plupart des formes de reproduction non autorisée, le simple fait de briser le cadenas numérique qui empêchait, par exemple, de reproduire ou de modifier une oeuvre n’était pas alors un motif de poursuite éventuelle. Depuis, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée afin d’inclure une prohibition contre ce genre de comportement. Désormais, il s’avère illicite de briser le verrou nous empêchant de poser certains gestes avec une oeuvre en format numérique.
L’affaire Nintendo of America Inc. c. King (2017 FC 246) implique justement un producteur de ludiciels qui tente de stopper une entreprise du marché gris (disons) qui brise les verrous technologiques de jeux. Nintendo tente ainsi d’enrayer un problème que lui causent les activités d’entreprises comme les défendeurs quant aux jeux liés aux consoles DS, 3DS et Wii, pourtant en principe protégés par une série de mesures de protection technologiques, en offrant des dispositifs capables de déjouer les moyens de protection légitimes compris dans les jeux Nintendo. L’entreprise Go Cyber permettait aux joueurs d’utiliser des copies illégales (contrefaites) des jeux originaux, notamment en facilitant le téléchargement et l’utilisation de copies piratées sur des appareils agréés par Nintendo, pourtant en principe munis de dispositifs visant justement à empêcher l’utilisation de copies illégitimes. En effet, grâce à des puces qu’offrait Go Cyber, les joueurs pouvaient modifier leur console de jeux afin de permettre l’utilisation de copies piratées.
Nintendo a donc institué des procédures judiciaires contre les acteurs impliqués afin de stopper leurs activités et obtenir compensation.
Au final, le tribunal conclut ici à plusieurs formes de violations de droits d’auteur par Go Cyber, notamment en copiant du code de Nintendo sur ses puces (évidemment s’il y a copie, il y a carrément contrefaçon). Le tribunal statue d’ailleurs qu’on peut même conclure à la contrefaçon (indirecte) par le fait de fournir des instructions détaillées aux consommateurs quant à la façon d’obtenir des portions de code Nintendo pour déjouer certaines mesures de protection. Quand la preuve est suffisamment claire qu’on communique des instructions dans le but de contrefaire une oeuvre, oui, il peut s’agir en droit d’une contrefaçon.
La décision va d’ailleurs dans le même sens quant au fait qu’en vertu des amendements de la Loi sur le droit d’auteur, en désarmant les dispositifs de protection qu’avait sciemment inclus Nintendo dans ses produits, Go Cyber a bel et bien violé la loi canadienne. Ce type de geste à lui seul donne ouverture à un recours et des dommages, pas de doute. Le tribunal mentionne d’ailleurs que les dommages préétablis n’ont pas à se limiter au nombre de verrous brisés, c’est le nombre d’exemplaires qui doit plutôt servir de jalon.
Cette affaire se solde (pour l’instant) par un octroi de dommages de plus de douze millions de dollars contre l’entreprise qui avait contourné les verrous technologiques dans le but de faciliter la reproduction illégale des programmes d’ordinateur créés par Nintendo. Ces dommages comprennent des dommages préétablis et des dommages punitifs d’ampleur, octroyés dans le contexte de ce que le jugement décrit comme une opération d’envergure industrielle, par des individus et des entreprises qui savaient vraisemblablement pertinemment que ce qu’ils faisaient s’avérait illégal au Canada.
Le message qu’envoie la Cour fédérale avec ce jugement confirme que notre droit voit désormais d’un bien mauvais oeil toute entreprise qui contourne des moyens techniques afin de faciliter la copie d’oeuvres telles que des jeux d’ordinateurs. Qu’on se le tienne pour dit, le simple fait de contourner une mesure de protection technologique est bel et bien générateur de responsabilité au Canada, et comment !