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La Cour supérieure confirme que le cybersquattage peut être une faute en vertu du Code civil du Québec

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
La Cour supérieure confirme que le cybersquattage peut être une faute en vertu du Code civil du Québec

La Cour supérieure rendait récemment une décision confirmant que le droit québécois pourra considérer le cybersquattage comme une faute, quand les circonstances s’y prêtent, donnant ainsi ouverture à un recours devant les tribunaux. Comme vous le savez peut-être, le « cybersquattage » correspond au fait d’enregistrer sans droit un nom de domaine qui reproduit le nom ou la marque d’un tiers, dans le but de l’en priver.

La décision 9248-9533 Québec inc. c. Industries Désormeau inc. (2017 QCCS 3837) résulte d’une dispute familiale opposant deux frères, les frères Désormeau, au sujet de la façon de se diviser l’entreprise démarrée à l’origine par leur père. Bien que la réorganisation s’effectue péniblement entre les deux parties (suite au retrait de leur père), les deux frères se répartissent les divisions de l’entreprise originale. Par exemple, Louis Désormeau met la main sur les divisions désignées par les noms commerciaux « Boulons et Forge » et « Produits M.S.M. », alors que son frère Simon en acquiert une autre.

Dans le courant de cette réorganisation, face à des négociations âpres qui s’éternisent et après de nombreux recours et plusieurs décisions judiciaires, Simon réalise que son frère a fait défaut d’enregistrer les noms de domaine qui refléteraient les noms commerciaux de sa société (dont « produitsmsm.com » et « boulonsetforge.com »). Dans le but de pouvoir faire pression sur son frère dans le contexte de leurs négociations, Simon fait alors enregistrer une série de noms de domaine reliés. Simon fait aussi rediriger ces noms de domaine vers le site de sa propre société. Lorsque Louis le réalise, sa société intente un recours à ce sujet, alléguant d’une part une violation de la Loi sur les marques de commerce et, d’autre part, une faute donnant ouverture à un recours en responsabilité extracontractuelle, en vertu de l’article 1457 C.c.Q.

Au final, le juge rejette le recours de la société de Louis fondé sur le Code civil, notamment à cause de l’absence de dommages. À ce sujet, il faut comprendre que les faits de l’affaire s’avèrent inhabituels, notamment parce que Simon a volontairement libéré les noms de domaine en question pendant l’instance et que l’Internet s’avère peu pertinent dans le domaine d’activités en question. Comme résultat, la demanderesse ne parvient pas à démontrer avoir perdu quelque client ni vente à la suite des agissements de Simon. Au final, c’est ce qui sera fatal à son recours en vertu du Code civil du Québec. Le tribunal rejette d’ailleurs aussi le recours fondé sur la Loi sur les marques de commerce pour d’autres motifs dont nous ne traiterons pas ici.

Malgré un rejet de la demande fondée sur l’article 1457 C.c.Q., cette décision s’avère utile pour nous, particulièrement en matière de noms de domaine enregistrés de mauvaise foi. En l’occurrence, la décision vient confirmer que l’enregistrement d’un nom de domaine qu’on sait reproduire la marque de commerce ou le nom commercial d’un tiers, dans le but d’en priver ce dernier et de profiter du trafic Internet qui lui était destiné, peut s’avérer une faute civile. Comme chacun le sait, s’il y a « faute », le Code civil donne droit à celui qui subit un préjudice en résultant d’agir devant les tribunaux pour être compensé par le fautif. Ici, par exemple, si les circonstances s’étaient avérées différentes, il est tout à fait concevable que Simon et sa société auraient pu devoir indemniser la société qui utilisait les noms commerciaux « Boulons et Forge » et « Produits M.S.M. ». Cela aurait par contre nécessité qu’on puisse prouver un préjudice découlant de la perte d’un certain achalandage ou d’une certaine clientèle, par exemple.

Évidemment, malgré cet énoncé général de la Cour supérieure, le succès d’un tel recours dans d’autres affaires éventuelles impliquera aussi qu’on puisse démontrer la mauvaise foi ou les motifs illicites de la personne ayant enregistré et utilisé les noms de domaine en question. Bien que cette preuve a été facilitée dans l’affaire des frères Désormeau, par l’admission de Simon (quant à la raison pour laquelle il avait enregistré ces noms de domaine), cet élément pourrait bien s’avérer plus problématique à démontrer dans d’autres contextes. Tout demandeur qui espère ainsi invoquer l’article 1457 C.c.Q. devra pouvoir démonter des éléments indicateurs d’une intention de le priver des noms de domaine en question ou de leurs bénéfices.

À tout événement, nous disposons maintenant d’un cas de jurisprudence où la Cour supérieure confirme que le cybersquattage peut être générateur de responsabilité en droit civil, et ce, même quand la Loi sur les marques de commerce, elle, ne trouve pas application.

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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