La Cour fédérale rejetait récemment par jugement sommaire une action en contrefaçon de droits d’auteur instituée par M. Dean Joseph Evans (« Evans »), l’auteur d’un livre intitulé Glimpses of Black Ops en 2011 (« le livre ») contre le diffuseur Discovery Communications LLC (« Discovery »). Fait intéressant, le recours ici n’était pas basé sur la reproduction de textes ou de dialogues du livre, mais simplement sur le fait que des épisodes de cette série de télévision reprenaient des thèmes et des sujets qu’Evans avait inclus quelques années auparavant dans son Livre. Contrefaçon ? Pas du tout, de dire la Cour fédérale dans sa décision Evans c. Discovery Communications LLC (2018 FC 1153 (CanLII).
Publié en 2011, le livre d’Evans explorait certains sujets liés à la science, à la science-fiction et à l’impact éventuel de certaines technologies réelles ou potentielles, entre autres sur des questions d’éthique et sur la société en général. Le sujet compte nombre de séries depuis quelques années, dont Black Mirror, par exemple. En 2013, M. Evans constate que six des épisodes de la série de télévision Futurescape (« l’émission ») diffusée sur la chaîne de Discovery Communications LLC (« Discovery »), reprennent certains thèmes scientifiques qu’il estime tirés de son livre. M. Evans intente alors un recours en contrefaçon devant la Cour fédérale, énumérant de nombreuses et substantielles ressemblances entre son livre et l’émission.
La question qui se pose est de savoir si on peut invoquer ici la jurisprudence admettant qu’une œuvre postérieure à une autre puisse être considérée en être une copie, même en l’absence de copie littérale, notamment quand ce qui a été emprunté de la première œuvre s’avère être une caractéristique ou une combinaison de caractéristiques suffisamment substantielles. Ce pan de la jurisprudence peut-il s’étendre à l’emprunt de thèmes et de sujets ? La question se pose, alors que Discovery dépose une requête en jugement sommaire visant à obtenir le rejet pur et simple de l’action parce que ne soulevant pas de véritable question litigieuse.
La décision en résultant, Evans c. Discovery Communications, vient apporter plus de précision à la question de la mesure dans laquelle le droit canadien peut reconnaître la copie non littérale d’éléments d’œuvres littéraires comme base d’un recours en contrefaçon. Ici, oui, tout comme le livre, l’émission explore elle aussi l’application et l’utilisation éventuelle de technologies et de concepts technologiques futuristes, incluant les implications éthiques et l’impact qu’elles auraient sur l’humanité. Ce que le livre et l’émission ont en commun touche des thèmes et des sujets qui sont abordés, dont une partie des technologies et des concepts technologiques qui sont le sujet des épisodes de l’émission. C’est l’essentiel de ce qui se recoupe entre les deux œuvres en présence, sans plus.
La Cour fédérale vient rappeler que la Loi sur le droit d’auteur et son application par la jurisprudence limitent la possibilité de l’invoquer dans les cas de reproduction du mode d’expression adopté par un auteur, par opposition aux idées qu’il a avancées. Or, en l’occurrence, ce à quoi M. Evans tente de s’opposer implique non pas une réelle similitude de l’expression présentée dans les œuvres en présence, mais plutôt une similitude du contenu scientifique présenté dans ces deux œuvres. Malgré la prétention de M. Evans à l’effet contraire, en droit d’auteur, les deux œuvres ne se révèlent pas substantiellement similaires, seulement les idées sur lesquelles elles sont basées, et ce, peu importe que l’on soit ou non en présence d’une appropriation de la totalité ou d’une grande partie de l’œuvre d’autrui qu’on présente comme sienne.
L’allégation de M. Evans voulant que l’émission soit une copie non littérale de son livre ne tient pas la route, pas plus que sa prétention que le contenu scientifique qui aurait été copié de son livre suffirait pour faire de l’émission une reproduction illicite au sens de la Loi. Selon le tribunal, le fait d’ajouter foi à de telles prétentions équivaudrait essentiellement à une conclusion que les idées et les faits exprimés dans le livre de M. Evans sont protégés par des droits d’auteur, ce qui n’est évidemment pas le cas en droit canadien.
Ce faisant, la Cour fédérale rejette donc de façon sommaire la requête de M. Evans, avec frais, puisqu’il n’existe pas de réelle question de droit à trancher. La Cour fédérale profite ici de l’opportunité qui s’offre à elle pour rappeler que, malgré l’arrêt Cinar Corporation c. Robinson (2013 CSC 73) de la Cour suprême du Canada, le droit canadien des droits d’auteur s’oppose encore et toujours au traitement des idées et des concepts comme partie du monopole que vise à protéger la Loi.
Malgré les enseignements de la C.S.C. à ce sujet, la possibilité de prétendre à l’existence d’une copie illicite d’éléments non littéraux ne s’étend tout de même pas à de pures « ressemblances sémantiques » ou de simples similitudes de sujets et de thèmes, telles qu’alléguées par M. Evans. Ce niveau de ressemblance s’apparente trop aux choses abstraites comme les idées, les méthodes et les démarches, lesquelles sont toutes reconnues comme étant à l’extérieur du domaine de protection du droit d’auteur. Aussi, malgré l’arrêt Robinson, la règle centrale du droit d’auteur (protégeant l’expression des idées) demeure, afin de déterminer quels emprunts peuvent faire l’objet de recours en contrefaçon. Il ne suffit toujours pas de repérer des similitudes au niveau des idées ou des thèmes abordés entre deux œuvres, encore faut-il parvenir à ramener le débat à celui de l’expression des idées, incluant par exemple des éléments visuels et des combinaisons d’éléments d’expression. À défaut, malgré l’arrêt Robinson, pas question de contrefaçon.