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Rare décision canadienne quant aux marques de commerce et à l’achat de mots-clés (à des fins publicitaires)

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
Rare décision canadienne quant aux marques de commerce et à l’achat de mots-clés (à des fins publicitaires)

Depuis que les moteurs de recherche ont amorcé leur vente de mots-clés à des fins publicitaires (il y a quinze ans de cela), la question du problème juridique que représente peut-être l’achat des marques de commerce d’un tiers à titre de mots-clés persiste. Est-ce là un problème pour une entreprise de se prévaloir d’un service comme Google AdWords pour « acheter » des mots-clés identiques à la marque de commerce d’un concurrent ? La question demeure au Canada, bien qu’ailleurs les tribunaux se soient prononcés plus ou moins clairement à ce sujet. En droit canadien, la réponse à la question demeurait jusqu’à maintenant incertaine et peu (ou pas) traitée par les tribunaux.

Une décision récente émanant de la Supreme Court of British Columbia vient finalement nous fournir une réponse claire en vertu du droit canadien des marques de commerce, à savoir si l'achat et l'usage de mots-clés s'avèrent un problème (juridiquement) quand il s'agit de la marque de commerce d'autrui : Vancouver Community College v. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., 2015 BCSC 1470.

Question de fournir du contexte à ceux et celles qui ne seraient pas familiarisés avec les services comme Google AdWords, ce type de service permet aux entreprises d'acheter le droit de faire déclencher l'affichage de leurs liens sponsorisés (c.-à-d. publicités affichées en marge des résultats organiques de recherche) lorsqu'un usager génère une recherche dans un moteur de recherche. Il s'agit là d'une forme de publicité très populaire chez les entreprises à l'heure actuelle, particulièrement pour attirer des visiteurs vers leur site Web. La société Google déclarait des revenus de plus de 43 milliards de dollars liés à l'usage de ce service en 2012 pour vous donner une idée de l’ampleur du phénomène.

Pour en revenir au propos de ce billet, à noter qu'on ne parle pas ici de situations où une entreprise AFFICHE la marque d'un tiers dans sa publicité. En effet, la question qui nous intéresse ici a trait uniquement à savoir si on doit considérer comme problématique le fait d'utiliser la marque d'un tiers pour déclencher (au niveau informatique) l'affichage de sa propre publicité, en particulier si on est un concurrent, même en l’absence de quelque mention que ce soit de la marque visée dans le contenu de sa publicité. Il s'agit d'une trame de fait très courante sur Internet dans l'état actuel des choses et exactement ce qui s'était produit dans l'affaire Vancouver Community College.

L'affaire Vancouver Community College impliquait un demandeur se plaignant de l'achat par son concurrent direct du mot-clé « VCC », par ailleurs une marque que le demandeur avait employée en pratique en association avec ses services liés à l'éducation. Notons au passage qu'on traitait ici d'une marque de commerce d'usage (common law trademark) et non d'une marque déposée comme telle. L'analyse juridique liée à la réclamation du demandeur reposait donc ici sur un délit (allégué) de substitution (passing off) et non de contrefaçon comme telle.

Le demandeur échouera ici dans sa tentative de prouver l’existence d’un délit de substitution (dont faussement donner l'impression que le défendeur était le demandeur). Plus intéressant encore pour nous, le tribunal se refuse finalement à considérer que le mot-clé présente un problème lié à la marque du demandeur. Dans sa décision, le tribunal se refuse en effet clairement à considérer que l'usage d'un service comme Google AdWords puisse juridiquement s'avérer un problème, peu importe ce qu’on peut prouver d’autre en matière de confusion ou de substitution. Au final, selon le tribunal, c'est ce qui se produit sur le site Web de l'annonceur qui s'avère pertinent (notamment pour évaluer le risque de confusion ou même la confusion réelle), PAS ce qui est simplement affiché avec les résultats de recherche des moteurs de recherche comme Google et Yahoo !

Cette affaire semble donc aller contre la réception de la théorie de l’initial interest confusion en droit canadien, en précisant que peu importe la confusion initiale dont peut être victime un usager, c’est ce qu’il voit, comprend et croit sur le site Web d’une entreprise qui compte pour évaluer la confusion, pas les résultats de recherche qu’il a vus sur un moteur de recherche comme Google.

Cette décision vient donc finalement confirmer que l'usage de mots-clés n'équivaut pas (juridiquement) à l'usage de la marque de commerce qu'ils reflètent, et ce, même lorsque l'usager en question s'avère un concurrent direct du détenteur de la marque visée.

Il demeure à voir si le demandeur fera appel de cette décision.

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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